C’est en votre qualité de citoyen que je prends la liberté de m’adresser à vous.
Je n’ai rien d’intime contre votre personne. Vous êtes citoyen gabonais comme tous les autres compatriotes. Je vous reconnais le droit de jouir de vos libertés républicaines même si vous n’en faites pas autant pour vos adversaires politiques. Ce qui m’amène à m’opposer à vous est ce que vous représentez politiquement : le «bongoïsme», cette façon archaïque de faire la politique dans la confiscation du pouvoir par la privatisation de l’État à des fins d’actions politiques personnelles.
J’entends par confiscation du pouvoir le fait par vous et les vôtres de vous saisir de l’autorité de l’État au détriment de la volonté du peuple et d’y instituer un ordre politico-judiciaire qui échappe à sa souveraine volonté. Pour ça, alors que nous nous serions crus affranchis de certaines pratiques de dictat, vous avez mis l’armée sur pied pour contrecarrer toute opposition à vos ambitions ; vous avez interdit l’exercice des droits politiques de vos opposants dans les lieux publics ; vous bâillonnez les libertés d’opinions et vous prenez seules les décisions qui concernent la totalité même lorsqu’elles découlent des prérogatives du Parlement. Et vos amis de la Cour Constitutionnelle, quand ils ne sont pas complices, ne trouvent rien à redire. En procédant comme vous le faites, selon Hegel, dans sa théorie de l’État, nous sommes en présence d’une dictature. Par votre tactique pour assiéger les consciences des Gabonais, Hannah Arendt (1992) parlerait de totalitarisme.
Pour parvenir à vos fins, vous faites usage de pratiques politiques d’une époque révolue. Et vous vous dites appartenir au clan des jeunes. Pardonnez-moi d’en douter. À l’exception du rap, dont-il faut vous reconnaître l’élégance de la voix et la légèreté de la jambe, vous n’êtes pas mon contemporain. Mais cela n’est pas suffisant pour que je vous combatte politiquement avec force.
Mon combat contre vous et vos amis est le fait de la tragédie que vivent de nombreux gabonais. Je compte dans les rangs des miens au Gabon au moins un mort toutes les quatre mois. Tous ces morts entrainent un ethnocide. C’est le système politique que vous incarnez que j’attribue la responsabilité de ce génocide. Voilà ma principale inculpation et la cause fondamentale de mon combat contre vous et vos amis.
L'article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide[], adoptée par l'assemblée générale des Nations unies, le 9 décembre 1948, et l'article 6 du Statut de Rome du17 juillet 1998, l'acte fondateur de la Cour pénale internationale, affirment que le génocide s'entend de tout acte qui entraîne la destruction physique, systématique d'un groupe ou d'une partie d'un groupe national du fait de sa composition sur la base ethniques, religieuses ou sociales. Cette destruction peut être un fait planifié ou des pratiques politiques qui aboutissent intentionnellement à cette destruction. Dans mon acte d’accusation contre vous, je soumets que le système et les pratiques politiques qui sont les votre et notamment de votre parti politique favorisent des conditions d'existence qui entraînent la destruction physique totale ou partielle de plusieurs communautés nationales du pays.
J’appartiens à deux communautés ethniques au Gabon, comme d’ailleurs la majeure partie de nos compatriotes. Mon père est d’origine mpongwèse. Ma mère est d’origine kota, une ethnie gabonaise qui se trouve dans la province du Moyen-Ogooué dans le village Junckville, situé dans le département de la Banga Bigné, canton Ebel alembé à 69 km de la commune de Ndjolé. Les Fang voisins immédiats des Okota, les appellent «mekora» du même glossonyme donné aux populations Bakota dans la province de l'Ogooué Ivindo, mais avec qui, les Okota n’ont par ailleurs aucun lien sociologique ou linguistique. Les Okota sont plus proches ou appartiennent aux groupes linguistiques des Mitchogo, des Okandet et les Apidji. Ces derniers étant leurs plus proches parents de par leur origine sociologique commune. Comme bien d’autres petits groupes ethnolinguistiques minoritaires du Gabon, les Okota paient le plus fort de la politique instaurée par le système PDG au lendemain du 12 mars 1968 et dont incarnez la continuité.
En effet, en 1967, lorsque le président défunt Omar Bongo Ondimba (OBO) succède à Léon Mba, son besoin de conservation du pouvoir le conduit à proscrire le multipartisme. Il fonde en mars 1968 le parti démocratique gabonais (PDG) parti unique. Puis pour asseoir son pouvoir, à travers la désignation des membres du gouvernement et de la haute fonction publique, il met en place un système ethno-géopolitique centré sur son ethnie et les ressortissants de sa Province. Pour éviter les clivages ethniques pouvant naitre de la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’une seule ethnie, le Président Bongo étend sa sphère d’influence à un réseau fiable d'amis d’autres ethnies.
Le système politique qui en émerge prend appui dans la politique de l’équilibrisme ethnique et le régionalisme qui sont la charpente de légitimation de son autorité politique et celui de l’État.
En instaurant le parti unique en mars 1968, OBO veut donner à son parti le même type de légitimité que celui détenu jadis par le BDG. Pour assurer l’appui à son autorité, puisque la désignation des représentants politiques sur la base de la pluralité de candidats et de la concurrence politique est prohibée, il désigne les représentants politiques dans les structures de l’État par cooptation. Les leaders ou les intellectuels de chaque région susceptibles de faire preuve d’une certaine notoriété auprès de leur ethnie sont approchés pour intégrer le parti et manifester leur soutien au chef de l’État. Ceux qui n’appuient pas le parti et son chef sont persécutés. En revanche, ceux qui adhèrent au PDG bénéficient de nominations au gouvernement et dans la haute fonction publique et parapublique.
La capacité de mobilisation de leur ethnie et de leur région dans l’expression de la fidélité au chef de l’État deviendra l’enjeu de l’action politique des candidats cooptés. Dans la joute politique, l’enjeu ne vise pas le service du peuple ou du pays, mais servir le président Omar Bongo: consolider sa légitimité politique. C’est par l’attachement au chef de l’État et au louange de sa gloire que l’on se mérite la reconnaissance politique et sociale. Le recours aux siens, à son ethnie et à sa région est dans ce contexte est une stratégie d'ascension politique et sociale. Pour cette ascension et le maintien aux plus hautes fonctions de l'État, le chef ethnique ou régional promu s’approprie les prérogatives, les ressources et les privilèges de sa fonction. Cette accumulation primitive de la parcelle de l’autorité politique et administrative de la fonction que le chef ethnique ou régional détient est assortie d’une redistribution concomitante auprès des siens, des membres de son ethnie et de sa région à des fins d’actions et de stratégies politiques pour détenir le monopole de la représentation politique de son ethnie ou de sa région dans les instances de l’administration de l’État. Dans ce processus, il importe moins au chef ethnique ou régional d’assurer le fonctionnement de l’État conforme aux principes de management que de préserver l’appui des siens, de son ethnie et de sa région à sa personne et par ricochet au chef de l’État.
Conséquemment, le clientélisme politique établit un cadre de l’économie de l’affection. Le fonctionnement de l’État se caractérise par des affections spontanées où la survie politique est synchronique à l’efficacité de l’appropriation à des fins personnelles des ressources de l’État en vue des redistributions clientélistes. Il s’instaure dès lors des vices dans le fonctionnement de l’État favorisant des pratiques de mauvaise gouvernance qui entrainent une gestion calamiteuse des ressources de l’État et plongent le pays dans la pauvreté et le sous développement.
Mais la particularité de votre système politique a été l’exclusion de certains Gabonais appartenant aux ethnies faiblement peuplées. Le Gabon compte plus d’une trentaine de groupes ethniques d’importance inégale. Les plus petites n’ont pu se faire valoir dans leur région. Elles ont été mises en marge par les ethnies plus dansement peuplées. De mêmes les régions qui comptent le moins d’instruits ont fait l’objet de discrimination au sein de l’appareil d’État. Les ressortissants des communautés ethniques faiblement peuplées n’ont pas eu un égal accès aux services et ressources de l’État. Dans la mesure où l’État est le garant des conditions d’existence, de nombreuses ethnies, des nombreuses personnes n’ont pas été considérées dans la comptabilité nationale.
Malgré un PIB de 14000 $, on retrouve ainsi auprès des ethnies qui comptent entre 300 et 1000 individus des conditions de vie du moyen-âge. Ces conditions sont la cause de la disparition lente de plusieurs de ces ethnies, dont les Okota.
En effet, il n’y a aucun Okota dans les services de police, dans la gendarmerie, dans l’armée, dans la haute fonction publique, dans l’enseignement secondaire. On ne les retrouve dans aucune instance administrative ou de décision de l’État. Les diplômés universitaires issus de cette communauté chôment où sont condamnés à occuper des emplois qui ne correspondent pas à leur formation. Ma petite sœur diplômée de l’école de préparation aux carrières administratives depuis trois ans vend des légumes au marché pour survivre. Mon petit frère, diplômé de l’ENES depuis deux ans, tient un petit bar que j’ai mis sur pied. Mon autre petit frère étudie au Ghana grâce à la solidarité communautaire. Plusieurs autres membres de ma famille végètent à longueur de journée. Quant à moi, malgré des multiplies diplômes et des connaissances qui pourraient être mis au service de mon pays, je suis contrains de vivre en exil faute de pouvoir comme mes frères et sœurs bénéficier d’appui dans l’État pour faire octroyer un emploi à la hauteur de ma formation académique.
La grâce du seigneur a voulu que mes frères et sœurs du côté de ma mère parviennent à nous instruire. Plusieurs Okota n’ont pas cette chance. Plusieurs jeunes filles Okota ne sont jamais parvenues au niveau de la seconde. La plupart des Okota sont soumis à des conditions de vie qui les plongent dans l’alcoolisme, l’usage des drogues, l’inceste, la violence, la paresse, la détresse sociale. Ils vivent comme ces aborigènes d’Australie ou du Canada placés dans des réserves. Il y a deux mois, le journal l’Union rapportait un cas de fait divers d’une jeune maman qui avait vu ses deux enfants brûlés dans la maison à Junckville. Cette jeune maman est ma nièce. La semaine dernière deux jeunes hommes d’environ 23 ans sont morts écrasés par un okoumé dans un chantier forestier. Cette semaine, un autre membre de notre communauté est porté disparu. Il y a environ deux mois, c’est un cousin qui est mort à l’hôpital de Kembo à Libreville dans l’indigence totale. La chaîne de télévision TV+ en a même fait l’objet d’une de ses chroniques.
Quand ce n’est pas la misère, la pauvreté qui tue les Okota, ce sont les conditions de travail dans les chantiers forestiers qui le font. Depuis juin 2008, nous avons perdu une quarantaine de personnes. C’est beaucoup pour une communauté qui compte moins de 1000 personnes. Les naissances étant limitées, notre communauté décroît rapidement. Si aucune mesure urgente n’est prise, dans cinq ans, les Okotas en tant que communauté ethnolinguistique viable vont disparaître.
En 1984, l’UNESCO recense au Gabon environ une soixantaine de groupes ethnolinguistiques. En 2003, une étude de l’Institut Pédagogique Nationale (2003) dénombre seulement une trentaine de groupes ethnolinguistiques au Gabon. La diminution constante des communautés ethnolinguistiques est le fait d’un ethnocide socioculturel qui résulte de l’incapacité des individus qui les composent d’accéder aux conditions minimalement décentes que l’on est en droit de s’attendre de recevoir de son État. Faut-il noter chez ces groupes l’absence d’une éducation de qualité, l’accès à des soins de santé viables, la possibilité de détenir un emploi pour subvenir aux besoins élémentaires, etc.
Par ailleurs, même au sein des groupes ethniques d’importance, il existe des ghettos, des individus qui ne sont pas pris en compte dans la redistribution clientéliste des prébendes. Sans bénéficier des courroies de transmission politiques, plusieurs gabonais appartenant aux groupes ethniques d’importance n'accèdent pas eux aussi aux services et ressources de l’État et sont soumis à des situations qui les condamnent à la misère.
Pendant longtemps, on a attribué au monopartisme la mauvaise gouvernance du pays. Les leaders politiques qui revendiquent le multipartisme à la fin des années quatre-vingt-dix ont cru qu’en instituant le pluralisme politique, le pays instaurerait des formes de gestion politique de l’État plus saines, plus équitables pour l’ensemble des populations et plus efficaces pour le bien-être collectif. Malheureusement, les déterminants qui instaurent le pluralisme politique n’ont pas gommé les logiques politiques clientélistes du parti unique. Et dans votre imaginaire politique, vous croyez qu’en instituant certaines réformes pour polir le système politique actuel, le pays émergerait de sa misère. Permettez-moi d’en douter.
La République que Léon Mba met sur pied, Gabon d’abord, et que votre défunt père a conduit au parachèvement l’édification, s’est institué sur un socle de fonctionnement que nous appelons la sorcellerie politique. Au milieu des années quatre-vingt, les pratiques que système engendre ont culbuté notre pays dans la misère et dans une pauvreté endémique. Le pays comme les populations qui le composent est malade.
La dernière élection présidentielle était une occasion pour le peuple Gabonais d’introduire une rupture avec les institutions de ce système politique. Nombreux sont ceux qui parmi nous ont cru à la fin de leur calvaire avec l’émergence d’une nouvelle classe et des pratiques politiques postmodernes. Votre entrée en force à la cité de la démocratie proclamer les résultats des urnes que vous connaissez a conduit à la survivance du PDG.
Plusieurs de vos supporteurs arguent que vous allez réformer le PDG. On ne peut qu’en rire tellement la sottise est énorme. Votre discours d’émergence, qui laisse pantois plus d’un gabonais instruit, consiste au polissage des institutions de la République de Léon Mba et d’Omar Bongo. Ce n’est pas d’un toilettage de ces institutions que nous voulons, mais leur renversement complet. Cela, vous ne l’avez pas compris parce que, comme le dit votre ami Sarkozy, vous ne vous êtes pas inscrit dans l’histoire, celle de la postmodernité, celle de mon époque où l’action politique vise en tout premier la promotion de la liberté du citoyen pour favoriser sa créativité, son instruction, son droit de se choisir un gouvernement qui soit celui de ses aspirations pour sa propre démarche d’accomplissement. Cette liberté qui conduirait les Okota et les autres communautés ethniques marginalisées à se doter des outils de leur propre survie.
Ainsi, par exemple, je pourrai rentrer dans mon pays occuper des fonctions et aider ma famille, ma communauté ; entrer dans des débats politiques et promouvoir des choix politiques en vue de favoriser l’épanouissement de ma communauté maternelle. Mai cela n’arrivera pas.
Pour vous maintenir au pouvoir, vous n’allez pas introduire une réforme de l’État, réviser la Constitution, le code électoral, instituer une Cour constitutionnelle à l’abri de l’influence et l’arbitraire politique. Tout comme vous le faites pour l’armée dans les rues de Libreville, vous maintiendrez des pratiques politiques d’exclusions de ceux qui ne vous font pas allégeance. Vous ne ferez rien pour les petites communautés ethniques du Gabon comme les Okota. Les individus qui les composent continueront à mourir par faute de politique gouvernementale conséquente. En cela, vous qui avez pris le pouvoir par la force pour nous refuser les changements que nous souhaitons, vous participez de l’ethnocide des Okota et des autres ethnies marginalisées. Il n’y a rien de ce que vous direz dans votre politique d’émergence qui soit de nature à soustraire ses communautés de leur inexorable fin. Il nous faut une rupture institutionnelle. Vous devez quittez le pouvoir de vous-même et soyez certain que nous trouverions un moyens de vous faire partir.
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