Le 21 janvier 2010, rentrée solennelle de la Cour constitutionnelle, la présidente de cette institution, Madame Marie-Madeleine Mborantsuo, invite le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif à réviser les textes qui organisent la vie politique du Gabon. Toutefois, son appel ne s’accompagne pas de recommandations pour favoriser le rapprochement en vue d’une recherche de consensus entre le pouvoir en place et l’Opposition en vue de cette réforme fondamentale. Compte tenu de l’état de crise de la légitimité de l’autorité politique de l’État, au regard de la crispation politique actuelle au Gabon, la présidente de la Cour constitutionnelle aurait joué son rôle citoyen en faisant pareille recommandation.
Messi Me Nang, N’Foule Mba et Nnang Ndong (Le consensus politique au Gabon, de 1960 à nos jours) considèrent le recours au consensus comme un « joker » aux mains du régime pour se tirer d’une situation difficile et consolider son pouvoir. À juste titre, ils voient dans la recherche du consensus ce qui «tue le jeu politique pluraliste et réduit les chances d’une alternance au sommet de l’État». Même si les prérogatives de la révision de la Constitution sont réservées au Parlement et au chef de l’État, nous sommes néanmoins d’avis qu’en l’absence d’une représentation politique significative de l’opposition au Parlement et de la manière dont les députés actuels ont été élus, le pouvoir doit initier les réformes du texte constitutionnel et du code électoral dans une démarche consensuelle avec l’opposition et la société civile. Ainsi, faudra-t-il, à défaut d’instituer une Constituante comme le suggère M. Bruno Ben Moubamba, former un comité constitutionnel composé à parité des représentants du pouvoir, des membres de l’opposition et des représentants de la société civile.
La réforme constitutionnelle consensuelle sera, à cet égard, une voie de sortie de l’état de guerre froide entre le pouvoir et l’opposition. L’exercice n’est pas inédit. Ce fut déjà le cas en 1989 avec la tenue de la Conférence nationale. Contrairement à la révision de 1989, les acteurs politiques et ceux de la société civile doivent être audacieux. La réforme attendue requiert le dépassement des prises de positions tacticiennes de la politique du ventre. Elle doit aller au fond des choses, instituer des postures radicalement nouvelles et innovantes.
La réforme constitutionnelle consensuelle sera, à cet égard, une voie de sortie de l’état de guerre froide entre le pouvoir et l’opposition. L’exercice n’est pas inédit. Ce fut déjà le cas en 1989 avec la tenue de la Conférence nationale. Contrairement à la révision de 1989, les acteurs politiques et ceux de la société civile doivent être audacieux. La réforme attendue requiert le dépassement des prises de positions tacticiennes de la politique du ventre. Elle doit aller au fond des choses, instituer des postures radicalement nouvelles et innovantes.
En effet, la nécessaire révision constitutionnelle appelée par la Cour constitutionnelle n’est pas une vue de l’esprit. C’est la dénonciation des insuffisances et des défaillances institutionnelles qui ont entravé le bon déroulement de l’élection présidentielle de 2009 et qui ont mis une partie du pays à feu et à sang. De plus, la revendication de changements constitutionnels exprime aussi un besoin d’agir qui place la classe politique et les acteurs sociaux face à leurs responsabilités citoyennes. L’ampleur des défis à surmonter, pour moderniser la démocratie gabonaise et sortir de cet esprit d’État néo-patrimonial, ne doit pas conduire à des changements cosmétiques, mais instituer un véritable changement durable de régime édictant une séparation formelle et un équilibre des pouvoirs inédits. Partant de cette situation, le débat de cette révision constitutionnelle doit être largement dominé par la question de la répartition, de l’équilibre des pouvoirs, de l’imputabilité politique, de la préservation et de la sauvegarde des libertés individuelles.
Historiquement, rappelons que toutes les révisions constitutionnelles ont conduit à l’instauration de la primauté considérable du Président de la république. Ce qui établit un net déséquilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Autrement dit, le régime politique gabonais s’apparente considérablement à une « monarchie présidentielle ». Là, les pouvoirs ne sont pas partagés. Ils sont détenus par une seule et même personne. Et l’exercice des attributs de ces pouvoirs le rend omnipotent. En d’autres mots, il est le chef de l’État, le président de la République, le chef suprême des armées, le chef suprême de la magistrature, le chef de l’exécutif. Il nomme et fait nommer les membres du gouvernement, les chefs des corps constitués, les responsables des instances de contrôle institutionnel de l’État, les responsables des pouvoirs judiciaires et des personnes chargées de faire appliquer la loi et l’ordre.
La fameuse théorie de la séparation des pouvoirs ne s’aurait s’accommoder de cette nature de régime. Il faut rappeler que dans une réelle République le pouvoir suprême est celui du peuple assemblé. Le paradoxe que met à jour ce genre de régime politique et ses pratiques institutionnelles est l’érection d’une Constitution taillée sur mesure pour un individu comme l’est l’actuelle Constitution gabonaise. Un paradoxe qui, par certains aspects, prend les allures d’une impasse dans la configuration politique actuelle. Qui peut faire entendre raison au chef? La révision de la Constitution doit conduire les deux chambres du parlement à retrouver de façon formelle (dans la pratique et dans l’esprit de la Loi) les prérogatives de la délégation de la souveraineté du peuple à partir desquelles sont mis en œuvre les principes de direction politique et de contrôle institutionnel de l’État. En cela, deux postulats doivent être observés. Le premier provient de la thèse de la souveraineté du peuple de l'illustre philosophe genevois Jean-Jacques Rousseau. «[La volonté du peuple] est au-dessus des lois et ne peut être limitée par aucune norme juridique ni même celles de la constitution». Lorsque librement exprimée, la volonté du peuple gabonais ne doit plus être surpassée par les desseins du Président de la République. Cette volonté ne doit pas être circonscrite par des mécanismes qui la tiennent prisonnière entre les mains d’un individu. Le second résulte des travaux du philosophe anglais John Locke et limite les pouvoirs de l’exécutif par des normes constitutionnelles, que ce soit par les modes de traitement et de nomination des fonctionnaires du pouvoir judiciaire, ceux du contrôle du fonctionnement institutionnel et administratif de l’État, ou par la Charte des droits et libertés, qui doit être enchâssée dans la Constitution, et par la sauvegarde des mécanismes de révision constitutionnelle mettant la Loi fondamentale à l’abri des caprices de quelques-uns.
Mais conduire le Gabon vers la modernité de ses institutions et les changements souhaités par le peuple gabonais ne concerne pas uniquement le texte de la Constitution. Ils touchent également la lecture des pratiques politiques et institutionnelles. Il faut en fait fonder une sorte de révolution du bon sens pour faire entrer notre pays dans une nouvelle culture politique, caractérisée par la responsabilité collective devant les intérêts suprêmes de la Nation et le refus de la danse du ventre et de la sorcellerie politique.
Tous les animateurs de la vie de la cité : les acteurs politiques, les intellectuels, les hommes et les femmes, des médias et de la société civile, doivent, pour que les changements institutionnels souhaités aboutissent, avoir une nouvelle conception de leur devoir de citoyen. Le fonctionnement institutionnel passe alors davantage par la représentation que ces acteurs se feront de leur rôle dans le fonctionnement harmonieux de l’État que par des intérêts qui font prévaloir des bas instincts. Ils devront plus que jamais promouvoir une culture du pouvoir qui réhabilite la recherche de la vertu dans la direction et le contrôle des affaires de la cité. Sans cet indispensable préalable, toute réforme constitutionnelle est condamnée à rester une entreprise vide de sens et peut même s’avérer, à terme, contre la modernité de notre pays ou pour «l’émergence», pour utiliser l’expression en vogue. Pour cela, la philosophie qui sous-tend les revendications de changements constitutionnels doit remettre au goût du jour une rupture des comportements antérieurs et quelle que soit la signification qu’on lui donne, la pratique politique nouvelle doit marquer une étape nouvelle dans l’histoire politique du Gabon. Car sans ces changements de comportements, la révision constitutionnelle renverrait aux aléas de l’État néo-patrimonial, les gains que nous aurions pu réaliser pour faire avancer notre pays.
Par ailleurs, advenant que le pouvoir refuse d’initier une réforme constitutionnelle et préfère maintenir le statu quo, il revient aux leaders politiques d’une opposition réelle ou aux leaders de la société civile d’initier la révision constitutionnelle. Il pourrait s’agir d’une démarche d’initiative populaire. Les citoyens à travers une pétition s’arrogeraient le droit de récupérer les prérogatives déléguées à leurs représentants constatant que ces derniers ne s’acquittent pas de leur devoir constitutionnel. C’est une démocratie directe qui s’exercerait comme refus de la confiscation du pouvoir citoyen par l’exécutif.
Joel Mbiamany-N’tchoreret
Historiquement, rappelons que toutes les révisions constitutionnelles ont conduit à l’instauration de la primauté considérable du Président de la république. Ce qui établit un net déséquilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Autrement dit, le régime politique gabonais s’apparente considérablement à une « monarchie présidentielle ». Là, les pouvoirs ne sont pas partagés. Ils sont détenus par une seule et même personne. Et l’exercice des attributs de ces pouvoirs le rend omnipotent. En d’autres mots, il est le chef de l’État, le président de la République, le chef suprême des armées, le chef suprême de la magistrature, le chef de l’exécutif. Il nomme et fait nommer les membres du gouvernement, les chefs des corps constitués, les responsables des instances de contrôle institutionnel de l’État, les responsables des pouvoirs judiciaires et des personnes chargées de faire appliquer la loi et l’ordre.
La fameuse théorie de la séparation des pouvoirs ne s’aurait s’accommoder de cette nature de régime. Il faut rappeler que dans une réelle République le pouvoir suprême est celui du peuple assemblé. Le paradoxe que met à jour ce genre de régime politique et ses pratiques institutionnelles est l’érection d’une Constitution taillée sur mesure pour un individu comme l’est l’actuelle Constitution gabonaise. Un paradoxe qui, par certains aspects, prend les allures d’une impasse dans la configuration politique actuelle. Qui peut faire entendre raison au chef? La révision de la Constitution doit conduire les deux chambres du parlement à retrouver de façon formelle (dans la pratique et dans l’esprit de la Loi) les prérogatives de la délégation de la souveraineté du peuple à partir desquelles sont mis en œuvre les principes de direction politique et de contrôle institutionnel de l’État. En cela, deux postulats doivent être observés. Le premier provient de la thèse de la souveraineté du peuple de l'illustre philosophe genevois Jean-Jacques Rousseau. «[La volonté du peuple] est au-dessus des lois et ne peut être limitée par aucune norme juridique ni même celles de la constitution». Lorsque librement exprimée, la volonté du peuple gabonais ne doit plus être surpassée par les desseins du Président de la République. Cette volonté ne doit pas être circonscrite par des mécanismes qui la tiennent prisonnière entre les mains d’un individu. Le second résulte des travaux du philosophe anglais John Locke et limite les pouvoirs de l’exécutif par des normes constitutionnelles, que ce soit par les modes de traitement et de nomination des fonctionnaires du pouvoir judiciaire, ceux du contrôle du fonctionnement institutionnel et administratif de l’État, ou par la Charte des droits et libertés, qui doit être enchâssée dans la Constitution, et par la sauvegarde des mécanismes de révision constitutionnelle mettant la Loi fondamentale à l’abri des caprices de quelques-uns.
Mais conduire le Gabon vers la modernité de ses institutions et les changements souhaités par le peuple gabonais ne concerne pas uniquement le texte de la Constitution. Ils touchent également la lecture des pratiques politiques et institutionnelles. Il faut en fait fonder une sorte de révolution du bon sens pour faire entrer notre pays dans une nouvelle culture politique, caractérisée par la responsabilité collective devant les intérêts suprêmes de la Nation et le refus de la danse du ventre et de la sorcellerie politique.
Tous les animateurs de la vie de la cité : les acteurs politiques, les intellectuels, les hommes et les femmes, des médias et de la société civile, doivent, pour que les changements institutionnels souhaités aboutissent, avoir une nouvelle conception de leur devoir de citoyen. Le fonctionnement institutionnel passe alors davantage par la représentation que ces acteurs se feront de leur rôle dans le fonctionnement harmonieux de l’État que par des intérêts qui font prévaloir des bas instincts. Ils devront plus que jamais promouvoir une culture du pouvoir qui réhabilite la recherche de la vertu dans la direction et le contrôle des affaires de la cité. Sans cet indispensable préalable, toute réforme constitutionnelle est condamnée à rester une entreprise vide de sens et peut même s’avérer, à terme, contre la modernité de notre pays ou pour «l’émergence», pour utiliser l’expression en vogue. Pour cela, la philosophie qui sous-tend les revendications de changements constitutionnels doit remettre au goût du jour une rupture des comportements antérieurs et quelle que soit la signification qu’on lui donne, la pratique politique nouvelle doit marquer une étape nouvelle dans l’histoire politique du Gabon. Car sans ces changements de comportements, la révision constitutionnelle renverrait aux aléas de l’État néo-patrimonial, les gains que nous aurions pu réaliser pour faire avancer notre pays.
Par ailleurs, advenant que le pouvoir refuse d’initier une réforme constitutionnelle et préfère maintenir le statu quo, il revient aux leaders politiques d’une opposition réelle ou aux leaders de la société civile d’initier la révision constitutionnelle. Il pourrait s’agir d’une démarche d’initiative populaire. Les citoyens à travers une pétition s’arrogeraient le droit de récupérer les prérogatives déléguées à leurs représentants constatant que ces derniers ne s’acquittent pas de leur devoir constitutionnel. C’est une démocratie directe qui s’exercerait comme refus de la confiscation du pouvoir citoyen par l’exécutif.
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