Le 28 avril 2011, par rapport au débat portant sur la nécessité d’instaurer des listes électorales à partir d’un fichier d’identification des électeurs par des données biométriques, je publiai un article dans lequel j’attirai l’attention de mes amis de l’opposition. Je tentai notamment de sensibiliser sur l’inutilité de ce fichier quant aux manquements du respect par le pouvoir établi de l’expression souveraine des citoyens à choisir librement leurs gouvernants.
En examinant la situation politique du pays depuis 20 ans, je constatai qu’en dehors de tout changement notable des institutions qui président à l’organisation, à la proclamation et à la validation du processus électoral au Gabon, le fichier électoral biométrique ne saurait garantir le respect de la volonté exprimée par les électeurs et que tout débat dans ce sens était de nature à renforcer l'autocratie dans notre pays.
Malgré cet article et des lettres envoyés directement à certains acteurs politiques et aux chefs de la société civile pour les aviser de ce que je constatais, un slogan de non-participation aux élections fut néanmoins mis en place : pas de biométrie, pas de transparence, pas d’élection. À cette occasion une tournée dans tout le pays fut entreprise pour édifier le peuple sur cette posture de la classe politique de l’opposition classique; tandis que la société civile, par « Ça suffit comme ça » entama de son côté une campagne de sensibilisation pour accabler le gouvernement dans ses manœuvres électorales frauduleuses par un combat dit « asymétrique ». Ça suffit comme ça entendait par un contournement du gouvernement, dans ses méthodes légales de fraudes, de le placer dans une situation d’illégitimité par une extrême faible participation des citoyens à cette élection.
Ça suffit comme ça et l’opposition classique ont défavorisé une participation notable au scrutin. À peine 10 % des électeurs inscrits ont pris part à ce scrutin. Pourtant, rien n’y fit pour ébranler le gouvernement et le président établi. Ça suffit comme ça et l’opposition classique comptaient sur une certaine morale politique du parti au pouvoir pour se gêner de la situation. Le combat asymétrique n’a pas produit les effets escomptés. Comme l’eau d’un torrent, sur son passage le parti au pouvoir a tout raflé : 114 députés sur une possibilité de 120. Tranquillement, on est revenu au Gabon à la situation politique qui prévalait avant la tenue de la Conférence nationale de 1990 et de l’avènement du multipartisme : le monopartisme. Pourquoi le débat sur la quête de la démocratie et l’alternance politique avait-il porté sur la biométrie. Je me le demande encore aujourd’hui.
Le but de tout processus électoral est de rendre possible l’alternance politique. Depuis 50 ans au Gabon, c’est le même parti est au pouvoir. Le développement périclitant à cause de la mauvaise gouvernance, ce ne sont pas les prouesses de gouvernance du Parti démocratique gabonais (PDG) qui le maintiennent au pouvoir. Ce sont ses capacités à disposer du contrôle de l’ensemble des institutions politiques et judiciaires. N’aurait-il pas fallu dans ce contexte que la position de l’opposition classique et de Ça suffit comme ça soit celle d’exiger des institutions démocratiques comme en 1989 avant d’envisager de parler de biométrie.
L'alternance politique est l’expression manifeste de la souveraineté du peuple pour encourager sa bonne gouvernance. Elle est favorisée par les mécanismes de séparation des pouvoirs des institutions de l’État. Elle empêche l’une des parties à un concours électoral de s’adjuger l’expression populaire librement exprimée et ainsi d’ôter au peuple son droit souverain d’élire et de démettre les gouvernements.
Assurément, lorsqu’il y a absence des mécanismes de la séparation de pouvoirs dans l’État, l’une des parties au concours électoral dispose nécessairement d’un rapport de force indu par rapport aux autres. Les institutions qui organisent le concours électoral ont vite fait de la favoriser et la placer aux commandes du gouvernement. Le gouvernement ainsi désigné n’agira pas en conformité de l’intérêt du peuple, mais en rapport avec ce qu’il croit être la volonté du peuple. Au demeurant, même s’il dit parler au nom du peuple, puisque le peuple n’a aucun moyen pour le rendre redevable de ses actions et le sanctionner si nécessaire, c’est en fait au nom de sa propre volonté qu’il s’exprimera.
En réalité, au Gabon, toutes les institutions qui assurent l’organisation, le fonctionnement de la vie politique et la validation des résultats des urnes sont concentrées entre les mains d’Ali Bongo : héritage de son père. Pour rendre crédible toute élection au Gabon, la lutte pour l’alternance politique doit s’enraciner dans l’instauration des mécanismes pour que l’expression de la volonté de gouvernance du peuple soit reconnue et authentifiée. Il ne saurait porter sur un autre objectif.
En cela, il est malheureux de voir que certains au Gabon croient qu’en produisant des fichiers électoraux avec des données biométriques, le vote librement exprimé, selon le nombre exact des inscrits et leur identification formelle, ferait barrage aux coups d'État électoraux. Cela n’est pas le cas et cela ne sera jamais le cas. Certes les données biométriques permettraient qu’une certaine transparence électorale soit de mise. Mais elle n’est pas garante du respect de l’expression des votes proclamés et authentifiés. Des preuves de fraudes électorales ont été maintes fois présentées devant la Cour constitutionnelle sans qu’elle ne s’en émeuve outre mesure.
Comprenons que la démocratie n’est pas que le fait pour les citoyens de voter librement. Personne au Gabon ne vote avec un fusil à la tempe. Le scrutin est libre malgré quelques accros importants. Ce n’est pas le vote libre ou la conformité du nombre de votants par rapport au nombre d’inscrits qui est le principal problème de l’absence de possibilité de l’alternance politique au Gabon. C’est l’absence formelle de la séparation des pouvoirs des institutions de l’État qui favorise les coups d’État électoraux. Au regard des capacités du parti au pouvoir à contrôler toutes les instances de l’organisation et du fonctionnement de l’État, dans le contexte actuel, l’alternance politique au Gabon est impossible même si les listes électorales sont confectionnées sur la base des données biométriques.
Joel Mbiamany-N’tchoreret,
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