Cet article est le premier d’une série d’articles faisant état du paradoxe du développement au Gabon. Celui-ci présente les difficultés liées à l’accès à l’eau potable dans ce pays. Il montre que, au-delà des ressources fluviales abondantes dont dispose le pays, l’eau potable comme priorité dans le bien-être social n’a jamais été prise en compte dans le souci du développement du pays.
Cela est dû au statut ambigu du développement social où le rapport entre les visées économiques et celles du bien-être social a été profondément altéré par une évolution économique en vue de favoriser le paraître. Alors que nous aurions cru les nouvelles autorités enclines à fonder leurs ambitions sur la réalisation des projets socio-économiques essentiels au bien-être des Gabonais, le développement dit émergeant rêve des projets de développement économique qui n’ont rien à avoir les priorités du quotidien des gens simples.
Certes, en l’état actuel du pays, tout est prioritaire. Quoiqu’il existe des besoins d’existence qui ne peuvent attendre. Lorsqu’on est un gouvernement qui veut faire émerger les citoyens de leur abîme, il faut savoir connaître leurs besoins immédiats. En l’occurrence, l’accessibilité à l’eau potable pour tous à moindres frais est une priorité nationale d’importance. Au regard de nos critiques, nous proposons une voie de sortie de ce drame que le gouvernement peut emprunter. S’il existe un gouvernement au Gabon
L’accès à l’eau potable pour tous est une priorité mondiale
En vérité, un pays qui manque d’eau potable ou qui en fait une ressource rare est un pays qui ne peut ni nourrir adéquatement sa population, ni se développer socialement de façon harmonieuse. D’ailleurs, le NEPAD considère désormais l’accès et la consommation en eau par habitant comme un indicateur du développement économique. Autrement, «dis quelle est la propension d’accès à l’eau potable dans ton pays, pour que l’on te dise quel est son niveau de développement économique».
Selon une étude des Nations Unies, l'eau deviendrait, d'ici à 50 ans, un bien plus précieux que le pétrole. C’est dire toute l’importance d’investir adéquatement dans cette ressource que d’aucuns appellent déjà « l’or bleu».
Pour cela, le 22 mars 2005, l’Organisation des Nations Unies lançait la décennie (2005-2015) : l’eau, source de vie. À cet effet, elle rappelait que l’épuisement et la dégradation des réserves d’eau douce due à une croissance démographique rapide et à un développement mal géré était la source des problèmes d’accession à l’eau potable et qu’il convenait, pour redresser la barre, d’instituer des politiques de développement permettant l’accessibilité à tous, à moindres frais, de cette ressource essentielle à la vie. Laquelle accessibilité commande, pour le cas du Gabon, de revoir les ambitions, les finalités et les façons de produire et de distribuer l’eau potable dans l’ensemble du territoire national.
En effet, l’embarras d’accessibilité à l’eau potable crée des difficultés de vie pour les populations. Selon Jeune Afrique, «A Libreville, qui compte quelque 600.000 habitants, des résidents sont quotidiennement contraints de veiller jusque tard dans la nuit pour faire des réserves d'eau. Les coupures prolongées, jusqu'à plusieurs jours d'affilée, ont entraîné récemment, selon la presse locale, des manifestations de protestations dans des quartiers populaires».
Pourtant, contrairement à bien des pays ou régions du monde, le Gabon est couvert d’eaux sur une superficie qui représente plus d’un quart du territoire national. Repartie en de nombreux cours d’eau dans toutes les régions, cette eau devrait être à la portée de tous les Gabonais quel que soit l’endroit où ils vivent. Néanmoins, son accès est calamiteux.
La thèse soutenue dans ce texte est que l’insuffisance des infrastructures due à leur vieillissement et à leur non-renouvellement et modernisation défavorise l’accessibilité à l’eau potable pour tous en qualité et en quantité suffisante. Les sous-financements et le vieillissement des infrastructures résultent de l’inexistence d’une politique gouvernementale d’accès à l’eau potable. L’État doit dans l’immédiat, suivant un cadre de développement durable ambitieux, élaborer une politique d’accès à l’eau potable. Cette politique doit être accompagnée d’un cadre d’investissement public quinquennal pour renouveler les infrastructures en vue d’étendre et de rendre efficientes la production et la distribution de l’eau potable.
Quel est le problème de l’accessibilité à l’eau potable au Gabon?
Les difficultés d’accessibilité à l’eau potable sont de l’ordre de sa pénétration en quantité suffisante aussi bien pour les populations vivant dans les zones rurales que celles vivant en zones urbaines. Dans les zones rurales, à cause sans doute d’une densité faible (1 habitant au 4 km2) et de laquelle résulte l’impossibilité de réaliser des économies d’échelle intéressantes, on note une absence d’infrastructures pour satisfaire à la demande des populations.
D’après les données recueillies au ministère de la Santé et celui de la planification, de même qu’auprès de la société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG), seuls 25% de la population vivant en zone rurale a accès à l’eau potable provenant des structures de l’État ou de la SEEG. En zone urbaine ce taux est de 66%. Le taux de pénétration de l’eau potable en milieu rural est ainsi évalué à 23% en moyenne dont 70% par les pompes à motricité humaine et 9% par les systèmes hydrauliques villageois. Le milieu urbain est là où l’on retrouve 80 % des Gabonais.
C’est là justement où les populations sont confrontées aux plus grandes difficultés d’accès à l’eau potable. La vétusté des infrastructures (le taux élevé de pannes, les défaillances dans la gestion et le suivi de l’exploitation des ouvrages) et l’absence de financement d’envergure illustrent la difficulté de répondre adéquatement à la demande, faisant de l’eau potable une ressource rare.
La mauvaise gestion de la SEEG
Au-delà de l’absence d’une politique de l’eau, les difficultés d’accès à l’eau potable sont tributaires d’une gestion défaillante de SEEG. Déjà en 1987 dans une mission télévisée (dite des dossiers de la RTG), il avait été démontré que les ministres et les hauts cadres politiques du PDG et de l’État ne payaient pas leur compte d’eau et d’électricité. De plus, la SEEG comptait un nombre impressionnant de hauts cadres avec des salaires qui défiaient toute concurrence.
Ces salaires ne correspondaient pas au rendement attendu de l’entreprise. L’existence d’une masse salariale importante avec un personnel pléthorique de même que le non-recouvrement de plusieurs impayés faisait de la SEEG une organisation à but non lucratif. On se souciait peu de dégager des profits pour parer aux imprévus et réinvestir dans les infrastructures.
Conséquemment, selon les conclusions de l’audit fait en vue de la privatisation de la SEEG, les derniers investissements faits dans les infrastructures de production et de distribution d’eau au Gabon datent du début des années quatre-vingt. Il en résulte une désuétude avancée des infrastructures de production et de distribution d’eau.
Les insuffisances dans l’entretien des infrastructures et le manque de financement de nouvelles machines de production et d’outils de distribution favorisent une insuffisance de l’offre de l’eau. Ils entraînent des pénuries dans la consommation quotidienne des Gabonais. La situation de la dégradation des infrastructures est telle que pour rétablir seulement l’équilibre de la demande et de l’offre d’eau, par rapport à 1990, il faut une espèce de plan Marshall.
L’absence d’une politique d’accès à l’eau potable
Le principal dilemme des difficultés d’accès à l’eau potable est essentiellement lié à l’inexistence d’une politique de l’eau. Ne dit-on pas que gouverner c’est prévoir. Il n’y a au Gabon aucun cadre légal sur l’eau et encore moins des principes publics pour favoriser un accès en eau en qualité et en quantité pour tous. Dans la plupart des pays dits modernes, le lotissement urbain en vue d’occuper les espaces d’habitation s’accompagne d’un plan de distribution d’eau fondé à la fois sur l’expansion urbaine, sur l’évolution démographique et sur les besoins de la croissance économique.
Au Gabon, la production et la distribution de l’eau sont, une gestion à vue. «Les tuyaux sont branchés les uns après les autres pour répondre à une demande non ordonné». Dans la plupart des villes modernes, pour répondre à la demande d’eau les gouvernements se donnent une politique de consommation de l’eau.
Cette politique entraîne généralement une stratégie visant à s’assurer, ce faisant, de répondre adéquatement à la demande, en recyclant l’eau usée pour la remettre dans le système de production, en s’assurant de mieux protéger la santé publique et ainsi de satisfaire aux conditions d’accessibilité à l’eau potable aussi bien pour les ménages que pour les entreprises. En vue de parvenir à une telle planification, les autorités gabonaises doivent considérer l’eau tel un constituant vital du bien-être social et comme un instrument de développement socio-économique.
La nécessité d’investir d’importants capitaux
Pour permettre l’accessibilité à l’eau en qualité et en quantité suffisante pour tous, sur l’ensemble du territoire, il faut investir dans la construction d’infrastructure de production et de distribution d’eau potable de même que des infrastructures de traitement des eaux usées. Nous avons calculé cet investissement, dans le programme de campagne à l’élection présidentielle de M. Bruno Ben Moubamba, à 200.000 millions d’euros, soit environ 130 milliards de francs CFA.
Au regard du poids du marché gabonais et du pouvoir d’achat des Gabonais, un tel investissement ne peut être fait le secteur privé. Il faut en effet compter près de 20 ans de consommation, avec le pouvoir d’achat actuel des Gabonais, pour que le secteur privé réalise des bénéfices probants. Un tel délai ne peut encourager des investissements privés qui doivent régler le problème de la vétusté du réseau d’aqueduc et normaliser la production et la distribution de l’eau. À moins, évidemment de considérer le coût de la consommation d’eau potable similaire à celui de la consommation de l’essence.
La stratégie de réinvestissement dans des infrastructures
Le manque et la défaillance des infrastructures est un obstacle majeur à la satisfaction en eau des besoins des populations, au développement des entreprises et à la réalisation des objectifs du développement prescrits dans le plan mondial de la décennie eau source de vie. En effet, le pays est confronté au double défi d’une demande croissante et du vieillissement d’équipements d’une grande partie de ses infrastructures, qui pourrait entraver la croissance et le développement durable.
Les besoins d’investissements en infrastructures qui concernent les services d’utilité collective tels que les télécommunications, l’électricité, les transports, l’eau et l’assainissement sont estimés à plus de 2 milliards d’euros d’investissement pour les cinq prochaines années. S’il faut dégager des montants aussi élevés, le gouvernement devra mobiliser toutes les sources possibles des capitaux en investissement sans toucher aux besoins des autres secteurs du développement comme le logement social, les infrastructures de santé, les infrastructures scolaires et universitaires. Il apparaît clairement que le niveau d’investissement requis pour les infrastructures de production, de traitement et de distribution d’eau ne peut se faire uniquement par le trésor public.
Les principes d’élaboration d’une politique d’accès à l’eau potable
Pour répondre aux besoins en infrastructures, le gouvernement ne saurait ignorer la solution qui consiste à favoriser la participation du secteur privé dans un Partenariat Public Privé (PPP). Cette collaboration PPP ne suppose pas une privatisation absolue du réseau de la production, du traitement et de la distribution d’eau.
Un PPP est une initiative de collaboration entre les secteurs public et privé qui est fondée sur des liens à long terme et sur un partage des ressources, des risques et des bénéfices. Cette collaboration a l’avantage d’apporter les capitaux dont a besoin le pays et en servant de garant à l’investissement du secteur privé.
Elle permettra de faire bénéficier le public d’un environnement plus concurrentiel et de mobiliser l’expertise technologique et les compétences de gestion du secteur privé dans l’intérêt public. Dans plusieurs pays industrialisés, la participation du secteur privé aux infrastructures a contribué ces dernières décennies à accroître la couverture et l’efficience des services d’infrastructure.
Mais pour attirer les investissements privés, il importe que le gouvernement dévoile les ambitions de développement en infrastructures dans une politique de développement durable ambitieuse. À n’en point douter, cette politique et le cadre légal qu’il mettra en œuvre aideront le gouvernement, qui recherche les capitaux au développement des infrastructures à attirer les investissements nécessaires et à mobiliser les ressources du secteur privé au bénéfice de l’ensemble de la société. La politique d’accès à l’eau potable guidera le gouvernement dans la participation d’entreprises privées aux solutions pour améliorer la production, le traitement et la distribution de l’eau potable.
Cette politique ne devra pas être interprétée comme devant conduire la privatisation ou la gestion privée des infrastructures à capitaux publics. Le choix entre la fourniture privée ou publique des services d’infrastructure doit se faire en fonction d’une évaluation objective de ce qui sert le mieux l’intérêt public.
Les facteurs à prendre en compte sont les niveaux actuels de fourniture des services et l’état des équipements, l’accessibilité financière pour les ménages et les entreprises, la couverture des réseaux, l’efficacité opérationnelle, l’entretien sur le long terme des installations ainsi que la viabilité sociale et environnementale. La décision doit être également fonction de l’échéance à laquelle les améliorations sont nécessaires et des sources de financement disponibles.
La politique d’accès à l’eau potable sera ainsi conçue comme une première étape pour faire participer le secteur privé à la construction des infrastructures, en leur proposant à cet effet un catalogue systématique d’orientations dans le cadre de la stratégie de développement durable et à la lumière de la situation et des besoins du pays. Elle visera à établir des prescriptions détaillées ou à donner des conseils techniques sur des aspects particuliers de l’investissement en infrastructures, de la formulation des contrats ou de la réglementation à respecter.
Pour conclure, le besoin d’écrire cet article et ceux qui suivront vient de l’état de frustration que l’on développe lorsqu’on examine le piétinement dans lequel se trouve le pays. On se trouve ainsi à se poser la question qu’est-ce que je ferais de mieux si j’étais à leur place. Nous savons qu’à l’état actuel du pays tout est une question de priorité et que l’état de nos finances lamentable ne permet pas de les satisfaire en même temps.
Le gouvernement s’emploie semble-t-il à vouloir créer des pôles économiques en construisant des zones dites industrielles. Il n’y a pas de mal à cela si c’est bien pensé et bien construit. Retenons simplement qu’un gouvernement n’agit pas comme une entreprise privée qui recherche avant tout à réaliser des profits financiers élevés.
La décision de faire tel ou tel investissement public relève donc rarement de la rentabilité immédiate que du besoin immédiat des populations. De fait, l'État doit raisonner en termes des besoins immédiats des populations. L’investissement dans la production, le traitement et la distribution de l’eau potable est une question de bien-être social vital. Le gouvernement a l’obligation d’investir dans ce secteur sans plus attendre.
Joël Mbiamany-N’tchoreret
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