Nous avions l’ambition, cette semaine, d’écrire un texte sur l’éducation de l’élite gabonaise afin de montrer les causes des travers de ses égarements politiques. L’actualité politique qui fait jour dans les principaux journaux gabonais et la recrudescence du débat autour de la position politique de certains et des appels et interpellations reçus à cet égard nous obligent au surchoix de notre projet d’écriture annoncé pour donner suite à certaines critiques légitimes et parfois infondées. De quoi s’agit-il?
Du débat autour de la notion d’opposition politique
Le concept d'opposition politique est polysémique. Il appelle à tous les qualificatifs : opposition fabriquée, opposition façon façon, opposition fatiguée, opposition radicale, opposition véritable, opposition républicaine, etc. Toutes ces appellations sont le fait des démarcations qui poussent les uns à dénoncer les postures oppositionnelles des autres à l’égard des tenants du pouvoir. De ces démarcations, certaines postures d’opposition seraient plus authentiques que d’autres. Mais en quoi sont-elles plus authentiques? Que faut-il entendre par opposition politique au Gabon au vu de la réalité politique qui s’érige au quotidien depuis 1990?
Dans son étymologie, le vocable opposition réfère au terme latin oppositus, ce qui est placé en face de … pour faire obstacle. Importée à la science politique, elle sera conçue pour désigner l'ensemble des mouvements et/ou partis qui s'opposent aux forces politiques détenant le pouvoir. Dans un régime politique représentatif, avec un parlement élu par les citoyens, l'opposition politique serait pour cela l'ensemble des organisations politiques qui n'appartiennent pas à la majorité parlementaire ou à la coalition au pouvoir. Attendu que pour gouverner, il faut obtenir l’assentiment du parlement, le pouvoir politique étant institué pour le fait de la gouvernance, les partis ou organisations qui conviennent directement ou indirectement d’une voie de gouvernance ne peuvent de ce fait être en opposition. Car dès lors qu'elles tombent d’accord sur les principes idéologiques d’une gouvernance commune, il ne peut y avoir cause d’opposition entre elles. Certes, à l’intérieur d’un ensemble d’organisations politiques des divergences peuvent survenir, comme l’on en trouve dans toutes les familles, quant aux moyens et aux stratégies de gouvernement. Ces divergences ne sont pas des positions diamétralement opposées pour faire valoir une scission idéologique. Sinon, on n'a plus les mêmes visées de gouvernement.
Il faut donc exclure de la notion d’opposition politique tous les partis politiques qui font une alliance directe avec le parti qui détient la majorité au parlement. De la même façon, même n’étant pas partie prenante à la composition du gouvernement, les partis ou les personnalités qui déclarent soutenir l’action politique du chef de l’exécutif menée par un gouvernement qu'il aura ordonné la composition, sont à exclure de la définition d’opposition politique.
Mais que faut-il entendre par soutien à l’action politique du chef de l’État? De même, à l’opposé de ce soutien, comment déterminer ce qui est de l’opposition politique et ce qui ne l’est pas?
Les appuis de soutien politique
Le soutien politique n’existe en démocratie que lorsque le parti majoritaire au parlement ne dispose pas d’une majorité absolue et qu’il faille, pour pérenniser son action politique ou la légitimer, obtenir l’assentiment d’une majorité des élus à travers des appuis de partis politiques tiers. Le parti politique majoritaire entrera dans ce contexte dans des accords politiques de co-gouvernance. Pourtant, il arrive également qu’un parti politique détenant la majorité absolue dans un parlement négocie des appuis pour une politique gouvernementale essentielle.
En effet, plusieurs experts en sciences politiques considèrent qu’une politique gouvernementale qui est soutenue par deux tiers ou plus de deux tiers d’appuis fait consensus. Parce que, lorsque plus de la majorité qualifiée soutiennent une actions gouvernementale en plus du fait qu’une partie de ce soutien provient de l’opposition, la politique ainsi votée jouit d’un consensus. Elle ne peut donc souffrir d’une contestation politique auprès de la population. Cette politique est donc légitime. La légitimité politique est donc qui oblige le parti majoritaire à rechercher des soutiens à son action gouvernementale.
Qu'est-ce que la légitimité politique?
Depuis l’avènement de la postmodernité, lorsque les intérêts individuels des citoyens ont pris le dessus sur les intérêts collectifs ou populistes, les démocraties sont « entrées dans l'âge d'une légitimité plurielle». Aujourd'hui, les gouvernants prennent davantage en considération l'appui des organisations non politiques, sociales et communautaires que l'appui des simples citoyens. Face à cette réalité, selon Pierre Rosanvallon, (La Contre-Démocratie, 2006), il faut sortir d’une certaine conception de la légitimité politique. Elle ne saurait être réduite « à sa définition électorale ». La conception de la légitimité politique qui serait essentiellement construite du verdict des urnes serait « très insuffisante pour rendre compte des titres à parler, à représenter, à gérer, à réguler, à autoriser ou à interdire », qui fondent la vie démocratique.
Dans une trilogie sur la démocratie (Le Sacre du citoyen, 1992, Le Peuple introuvable, 1998, La Démocratie inachevée, 2000), Pierre Rosanvallon a montré qu’en face de la légitimité électorale, existent de multiples formes de légitimité qui donnent à la vie politique le pluralisme des sources de ses fondements. Sans ces sources de légitimation politique, la démocratie n’aurait que peu d’emprise par rapport à la volonté réellement souveraine de l’ensemble des citoyens. Ces formes de légitimité ajoutent à la légitimité électorale le poids dont elle a besoin pour la prise en compte des intérêts individuels qui font désormais foi dans la vie politique face à ce qui est appelé « crise de la représentation politique», le désintéressement de l’électeur, le « repli du citoyen ».
La prise en compte des formes non électorales pour conférer le poids de la légitimité politique fait naître un cadre neuf de la notion de représentation politique. En accord avec Pierre Rosanvallon, convenons pour cela que la légitimité politique est à la fois la légitimité sortie des urnes et celle conférée par des modes d’expression autres que celles issues des représentations électorales. C’est par rapport à ces autres modes de représentation politiques qu’il faut comprendre la quête de soutien politique que mène le parti au pouvoir même lorsqu'il dispose de plus de la majorité qualifiée dans un parlement.
Également, dans un ouvrage récent, Guy Rossatanga-Rignault (2011), reprenant à son compte l’expression d’Hugues Capet (938 - 996), « qui t’a fait roi » a mis en lumière le fait que la légitimité politique ne pouvait désormais reposer sur le seul fait des urnes. Il n’a pas tort. Un peu partout dans le monde, la participation électorale fait problème. On observe un phénomène d’abstention qui fait que, plus souvent, c’est seulement environ un tiers de la population qui prend part à la participation électorale. Par rapport à ce type de participation, se pose effectivement tout politicien le problème de la légitimité politique. Il lui apparait de fait mal avisé de tenter de gouverner uniquement avec l'appui de l'expression des urnes sans de l’appui des syndicats, des associations, des corporations professionnels et des personnalités qui sont des leaders d’opinion dans les divers secteurs de la vie du pays. En obtenant ces appuis, le parti au pouvoir peut se gargariser de posséder une légitimité politique puisque ces appuis représentent généralement une opinion bien plus dense ou plus représentative que celle exprimée dans les urnes.
En somme, c’est pour la quête de la légitimité par rapport à ce qui peuvent détenir des formes de représentations politiques en dehors du cadre de l’expression des urnes qui pousse le parti au pouvoir à recherche l’appui des partis tiers même lorsque ce parti dispose de plus des cinq sixièmes des élus à l’Assemblée nationale.
Les soutiens politiques sont des formes de constitution des légitimités politiques
Les taux d’abstention élevés et fréquents font que la participation politique ne renvoie plus uniquement au vote comme montré précédemment. Elle intègre désormais aussi bien les dynamiques de soutien individuel de personnes disposant d’une certaine influence publique que des coalitions de groupes sociaux représentant des groupuscules d’intérêts. Les soutiens politiques individuels s’inscrivent dès lors dans la dynamique hors partisane. Ils participent au renforcement de la légitimité du pouvoir non obtenu dans les urnes en constituant une forme de consensus autour de celui qui détient ce pouvoir. C’est à la faveur de la conférence nationale que ces formes de légitimation politique ont vu le jour au Gabon.
Les années 90 marquées non seulement par l’avènement du pluralisme politique et du multipartisme, mais aussi par la consécration des lobbyings politiques individuels, ont vu se proliférer des types de participation politique non partisane. La société civile étant devenue un interlocuteur pertinent, les autorités politiques s’en sont servies pour étioler les contestations des organisations politiques organisées qui s’étaient formées pour mettre à mal les régimes politiques illégitimes. Il s’est développé entre les tenants du pouvoir, les associations et certaines personnalités publiues des rapports de coopération politique. Celle-ci s’est trouvée renforcée par le phénomène des scissions au sein des principaux partis de l’opposition. Les individus se retrouvant sans parti politique et disposant d’une certaine notoriété en sont venus à échanger contre leurs appuis des privilèges de participation à la gestion du pouvoir. Ces appuis politiques ont entraîné des formes de légitimation politique qui ne sont pas uniquement singulière à la société gabonaise ou aux sociétés africaines. On la retrouve aux États-Unis d’Amérique et dans la plupart des démocraties dans le monde. Au Gabon, elle prend des allures viles par le fait, dit-on, qu’elle affaiblit l’opposition politique organisée face aux pouvoirs non institués par l’expression des urnes.
Plusieurs femmes et hommes politiques et les observateurs intéressés par la chose politique sont effet restés campés dans une vue de l’opposition politique qui consiste à une dualité entre deux camps. Ils n’ont pas compris qu’il existe des formes d’exercice de sa liberté d’association, d’expression et de manifestation qui conduit le citoyen à agir comme un acteur libre de l’action politique et comme un partenaire des pouvoirs publics, libre de manifester son appui en fonction de ses propres intérêts, encore que la quête des intérêts politiques collectifs a perdu son essence. De fait, s’il est constant que les citoyens influencent l’action politique par le vote, le lobbying, les syndicats ou les partis politiques, il n’est pas moins vrai que le champ de la participation politique est loin d’être étanche à une participation individuelle. En cela, les notions de partis politiques sont à repenser et particulièrement celle d’opposition politique.
La notion d’opposition politique
L’opposition politique dans bien de pays africains est encore vue comme devant prendre les formes d’un antagonisme féroce à l’égard du parti au pouvoir. Cette conception découle davantage d’un esprit de frustration face à des rêves politiques inassouvis qu’à la raison d’État qui vise à proposer une alternative crédible et une stratégie efficace pour arriver à l’alternance du pouvoir.
En vérité, plusieurs leaders politiques agissent comme dans les années quatre-vingt-dix. Prisonniers d'une certaine approche du politique du tout ou rien, ils ne se sont pas encore adaptés au fait qu'ils doivent dépersonnaliser les ambitions politiques pour l'alternance du pouvoir. Le fait de créer un parti politique et se regrouper autours de quelques fidèles inconditionnels apparait toujours pour ces personnes comme un gage de réussite de la conquête du pouvoir politique. Ainsi, en viennent-ils à prendre en otage le débat politique et les vues de l'opposition politique selon ce qui leur apparaît une priorité à la satisfaction de leurs propres ambitions. Par la prise en otage du débat politique, ils font de l'opposition aux tenants du pouvoir un sacerdoce. Vous êtes tenus de n’exprimer aucune voie discordante sinon vous êtes jetés en pâture et qualifié de danseur de la lambda du ventre. L'opposition politique est pourtant autre chose qu'un engagement à l'égard de la pensée unique.
Élément essentiel du pluralisme démocratique, l'opposition doit exprimer ses divergences et ses points de vue critiques par rapport à l'action du gouvernement et non de la personne qui incarne son autorité. Pour cela, l'opposition politique ne peut exister que si le système politique reconnaît ses droits. Si une organisation politique lutte pour détruire le système politique ou son autorité, elle ne peut, face à la puissance publique du pouvoir de se préserver, que mener une lutte clandestine. À ce moment-là, on ne parle pas d’opposition politique, mais de résistance politique. Cette forme d’existence politique a ses origines dans les mouvements de contestations politiques en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, sous l’occupant nazi ou encore des mouvements de lutte contre l’occupation coloniale. Elle s'était constituée pour lutter contre l'existence d’un corps politique étranger qui s’imposait par la force et qui ne pouvait aucunement trouver dans le corps social un quelconque appui politique. Pourtant, le pouvoir politique actuel bénéficie des appuis et des soutiens qui le confèrent une légitimité certaine. Il y a donc dans la posture de certains partis et personnalités politiques une forme d’imposture qui fait que le combat qu’ils mènent, même juste et légitime, ne peut avoir de chance d’aboutir en dehors d’une insurrection ou d’un coup d’État militaire ou politique. Tout au plus ce qu'ils font affaibli l'opposition politique pour entraîner une réelle alternance politique.
Quand le combat politique asymétrique tue l’opposition
Plusieurs Gabonais mal-informés croient que ce qui tue l’opposition politique réelle au Gabon est le positionnement de quelques individus. Il n’en est rien. Ce qui affaiblit l’opposition politique au Gabon est le manque de visions stratégiques de certains hommes et femmes politiques. Trop imbus de leur personne et de leur haute éducation (nous en reviendrons dans une publication destinée à cet effet), s’enferment dans des tactiques politiques bancales. Par rapport à leurs propres ambitions, ils agissent en déconsidération tous les conseils qui peuvent les amener à remettre en cause leurs certitudes.
En 2010, nous avons usé de plusieurs conseils pour tenter de faire inscrire une certaine vision de la lutte politique en vue de consolider démocratie dans notre pays. Ces conseils n’ont jamais été examinés parce qu’ils ne s’inscrivaient pas une stratégie orchestrée par quelques individus.
Bien avant l’événement du PNUD, une certaine position politique avait été proposée pour favoriser l’alternance politique au Gabon. Nous avions entre autres proposé à une certaine personnalité politique d’importance que l’Union Nationale (UN) et l’Union du Peuple Gabonais (UPG) entrent dans une alliance de gouvernement en permettant à Pierre Mamboundou Mamboundou d’être le premier ministre de cette alliance et mettre en place des mécanisme pour propulser un des leaders de l’UN pour l’échéance de l’élection présidentielle de 2016. Cette proposition que nous avions mis des mois à confectionner a été rejetée à la faveur d’une stratégie qui devait entraîner une situation de crise politique par laquelle Ali Bongo devait, pour la sauvegarde de sa présidence, venir s’asseoir à la table de négociation discuter de sa survie politique.
Nous savions une telle stratégie vouée à l'échec. Le cadre de contestation de la légitimité politique sur laquelle elle devait prendre assise n’était pas suffisamment concret pour soutenir pareil projet. En outre, les chefs politiques devant mener une telle contestation ne disposaient pas de crédibilité élargie au vu du paysage politique construit depuis 1990. Malgré nos conseils, cette stratégie fut mise de l’avant. Le plus troublant avait été la tactique employée pour sa mise en œuvre. Elle était si inappropriée que nous avions par honte décidé unilatéralement de nous désolidariser. Nous y voyons un comportement qui aurait pour résultat d'affaiblir notre organisation. Comme de raison, nous n’avions pas totalement tort.
De la même façon, depuis trois mois nous avons dit que la stratégie qui consiste à uniquement faire le boycotte des élections législatives sans proposition d’une stratégie de capitalisation du résultat de ce boycotte ne pouvait qu’affaiblir l’opposition voir à la tuer. Pour l’occasion, nous avions fait des suggestions. Une fois de plus, nos propositions ont été ignorées. Aujourd’hui nous sommes dans l’attentisme, malgré « deux importantes déclarations».
En conclusion, disons que faire de l’opposition politique c’est s’inscrire dans le cadre politique institutionnel existant et élaborer des actions désintéressées pour faire évoluer l’organisation et le fonctionnement politique de la cité. Dans cette perspective, s’opposer c’est disposer d’un plan, d’une politique de rechange par rapport à celle des tenants du pouvoir politique. On peut être radicalement opposée à la politique du gouvernement sans pour autant agir en résistant politique. Lorsque l’on désire faire de la résistance politique, il faut disposer des moyens de la faire concrètement et les mettre en œuvre. Sinon, en parlant en opposant politique et agissant à résistant, on crée la confusion et on affaiblit l’opposition politique.
Joël Mbiamany-N’tchoreret
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