Pendant qu’ailleurs dans le monde les gens débattent de la nécessité de changement de régime et de système de gouvernance, au Gabon, on s’enfonce dans l’étiquetage politique. Il se traduit par une personnalisation du débat politique. Il parait que ce qui se passe dans mon pays est une histoire d’un individu contre un autre individu, d’un camp contre un autre camp. Pourtant, l’ensemble des Gabonais, quel que soit le camp, est d’avis qu’il faut que notre système politique change. Mais pris dans la quête de leurs propres privilèges, tout en voulant le changement, certains le critiquent ou font en sorte que le changement ne se fasse pas.
Depuis 23 ans, le président Ben Ali et son clan régnaient en Tunisie comme des familles mafieuses. En moins d’un mois, ce régime qui semblait granitique s’est effondré comme un château de cartes. Le soulèvement populaire qui l’a emporté, que personne n’avait vu venir, semble serein et responsable. Certains n’en croient pas tout simplement ce qu’ils voient, avec raison. À cause de nos intérêts égoïstes, nous avons la fâcheuse habitude de regarder dans la mauvaise direction pour appréhender certaines réalités.
L’exemple tunisien pourrait-il ou devrait-il être contagieux ? Le vent de la liberté pourrait-il souffler sur les autres pays de l’Afrique notamment l’Afrique noire? J’en doute. Au Gabon, le mouvement tunisien et égyptien est une réalité difficilement reproductible dans ce pays.
En Tunisie, c’est une certaine classe de population qui a poussé au mouvement de révolte politique. Plusieurs jeunes tunisiens diplômés, confrontés à une situation de précarité et d’accomplissement socioprofessionnelle n’ont eu d’autres choix que de chercher à remettre les pendules à l’heure. La colère, suivant la peine et la tristesse nées du suicide d’un jeune compatriote qui cherchait à exister par un travail honnête alors que plusieurs pillent le pays, a servi de détonateur. Les rancœurs accumulées ont pris le dessus sur la peur de la protestation.
De la même façon, voyant ce qui est arrivé en Tunisie, les égyptiens ont vu que c’est le peuple qui détient le monopole du pouvoir. Des milliers de gens ont compris qu’ils n’étaient pas prisonniers de Moubarak, mais de ne leur propre peur. Ils ont décidé de ne plus avoir peur et se sont préparés à tout. La société tunisienne et la société égyptienne ont des caractéristiques plus ou moins identiques sociologiquement, même si la population égyptienne semble en général moins éduquée que la population tunisienne.
La Tunisie et l’Égypte diffèrent des États d’Afrique noire dans la perception que l’individu a de l’État et du politique en général. Même si on y retrouve en Tunisie et en Égypte des divisons sociologiques sur le plan des appartenances religieuses : sunnite et chiite par exemple, il y a au moins une idée collective, celle d’être arabe et magrébin. Par ailleurs le cadre de la division sociologique est restreint : un à deux voir quatre groupes.
En Afrique noir, le contexte est tout à faire différent. Les sociétés d’Afrique noire, surtout les pays dits bantou, sont composées de plus de trente groupes ethniques.
Comme nous l’avons démontré dans un post précédent, l’ethnisme joue dans ces sociétés un rôle fondamental dans l’identification sociopolitique des individus. Identification qu’on ne trouve pas avec la même acuité en Tunisie et en Égypte.
Dans les pays d’Afrique bantou, le citoyen ne se réfère qu’au leader politique de son ethnie ou de sa région. L’ethnisme est porteur des propriétés identitaires de dépendance relative à la subsistance socio-économique incompressible. L’ethnie est à la fois l’unité familiale dans laquelle on trouve la sécurité de subsistance, d’accession aux bénéfices de l’État et pour sa survie sociale. Au regard de cette dépendance, les individus ne se plient pas aux calculs habituels du militantisme politique retrouvés dans les États modernes. Ils s’engagent dans l’auto-identification sociopolitique.
De même, s’ils sentent que leur action politique à l’égard de leur leader ethnique ne peut rapporter les gains politiques souhaités par l’ensemble du pays, prisonniers des logiques identitaires socio-affectives ethniques, ils adoptent des comportements opposés à l’intérêt de l’ensemble de la Nation et même parfois à leurs propres intérêts. Ils sont ainsi amenés à soutenir un leader politique au détriment d’un autre. Ce soutien ne repose pas sur les impératifs de la construction de la Nation, du développement du pays ou sur la modernisation de l’État, mais sur des intérêts primaires socio-affectifs. Voilà pourquoi ce qui se passe en Tunisie ou en Égypte ne peut se déteindre au Gabon.
Dans le débat actuel, le pays semble se divisent entre deux camps. Ceux qui veulent le changement de système politique et ceux qui militent pour le maintien du statu quo. Ces derniers ne veulent pas le changement parce qu’ils ne souhaitent pas que ceux qui les permettent ou pourraient les permettre d’accéder aux bénéficies de l’État perdent leur position de pouvoir. Pour justifier le paradoxe de leur conduite ambivalente, ils portent des réserves sur les leaders politiques qui mènent le débat pour exiger le changement.
Ainsi, le débat sur le changement politique devient une sorte de référendum contre et pour un tel. En pareille circonstance, il est difficile de créer un mouvement de revendication de changement politique comme en Tunisie ou en Egypte. Le pays étant prisonnier de ses propres contradictions. On est comme dans une impasse.
Pour le décanter et faire progresser le pays, faut-il un coup d’État militaire, ou une insurrection par les armes ? Ces moyens de changement pourraient apparaître barbares, sont-ils le seul moyen pour instituer une constituante qui irait introduire les mécanismes susceptibles de gommer le cadre de fonctionnement sociopolitique actuel du pays ?
Joel Mbiamany-N'tchoreret
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