Chers amis, Chers compatriotes,
À la suite de la proposition faite sur la tenue d’un sommet patriotique, nombreux sont ceux qui ont posé des questions sur l’utilité d’un tel forum, les uns préférant attendre la révolution à la française annoncée et les autres souhaitant la tenue d’une Conférence nationale souveraine. Il n’y aura pas de révolution au Gabon comme en 1789 en France. De même, il faut oublier pour l’instant la tenue d’une Conférence nationale.
Le cadre d’une révolution à la française au Gabon est inexistant. La révolution française était une revendication du petit peuple contre la monarchie incarnée dans une aristocratie des seigneurs. Les individus ont refusé le statut de sujet pour devenir citoyen en recherchant la liberté d’être eux-mêmes, d’être égaux avec ceux de l’aristocratie en éliminant les privilèges qui firent des uns des sujets des autres et souhaitant par conséquent instituer une République pour faire de tous les individus, d’où l’idée de fraternité.
La société gabonaise fonctionne avec les attributs d’un État patrimonial faisant valoir des situations d’assujettissement similaires à celles de l’époque féodale française. Les rapports entre les gouvernés et les gouvernants sont des relations de clientélisme par lesquelles les uns soumettent les autres à leur volonté politique et les autres à leurs besoins de subsistance. Ces relations de clientélisme se traduisent dans le domaine de l’affectif et l’identification des individus dans la société. Par l’affection ethnique et clanique, il n’y a pas dans la société gabonaise l’écart retrouvé entre l’aristocratie et le petit peuple en France et duquel est née la Révolution française. Chaque politique gabonais travaille pour avoir une clientèle en vue de venter ses mérites et soutenir son action politique même si ceux qui soutiennent cette action politique croupissent dans la misère et prient dans leur fort intérieur pour qu’un changement politique advienne. Il faut se le dire, les Gabonais qui vivent d’ambivalence n’entreront jamais dans un mouvement révolutionnaire de rupture brutale.
La Conférence nationale souveraine, du moins selon l’expérience vécue en 1990, est un forum de remise en cause d’un système politique par une indexation des coupables dans des échanges amèrement acrimonieux. Dans ce type de forum on assiste à une rixe politique par laquelle les uns défendent contre les autres un système politique même s’ils savent que ce système politique est défaillant. Il n’y a qu’à voir les échanges qui alimentent les discussions dans le net. Dans un forum de Conférence nationale, ceux qui disposent d’un rapport de force politique avéré l’emportent par démagogie. Ce type forum n’entraînera pas nécessairement le type de changement souhaité.
Le Gabon notre chère patrie est composé d’une diversité ethnique et clanique qui, en s’incarnant dans l’organisation de la vie politique du pays, cette diversité identitaire et sociopolitique entraîne un fonctionnement boiteux de l’État. Dans un tel cadre, aucun changement politique n’augurera l’avènement du pays que nous souhaitons pour le bien de tous et de chacun de façon égale.
Un sommet patriotique a l’avantage d’être qu’un lieu de discussion conviviale. Un cadre où chacun présente le type de société que l’on pourrait se donner en vue de se reconstruire et se donner le départ politique que nos pères ont raté à la fin des années cinquante.
Quelle que soit la tendance politique qu’ils arborent, les Gabonais, tous les Gabonais, en effet sont convaincus qu’il faut que le pays change. Pourtant, à cause des craintes ou de l’incompréhension des uns à l’égard des autres, cette volonté de changement ne trouve pas d’emprise dans nos actes et nos réflexions individuelles. Chacun capant dans des postures de préservations de ses acquis légitimes ou pas, voyant en l’autre l’incarnation du mal vécu ou potentiel.
Le forum patriotique, est le cadre du Gabon d’abord, cette patrie que nous souhaitons. En vérité, le sommet patriotique sera un lieu de discussion où les conversations porteront sur les sujets dont tous sont d’accord; laissant de côté des postures, les revendications qui fâchent; mettant de l’avant ce qui peut être le bien commun, le souhait minimal trouvé en chacun de nous pour l’intérêt de tous : l’amélioration politique, économique et sociale de notre pays.
Par rapport à cet objectif, chacun indiquera ce qu’il est prêt à faire pour que le pays change. Dans la discussion, patriotique, parce que c’est le pays que l’on met de l’avant et non soi-même, on fera des suggestions à partir des suggestions que les autres élaboreront en vue de les enrichir sans arrière pensée ou préconçus. Par cette volonté de porter plus loin ce que l’autre aura vu ou souhaiter pour chacun et tous, les discussions seront l’amorce de ce que ailleurs certains ont appelé la Révolution tranquille.
La Révolution tranquille, Quiet revolution, désigne une période de l'histoire caractérisée par une réorientation de l'État qui adopte les principes modernes visant la construction d'une nouvelle identité s'écartant du nationalisme traditionnel. Au Québec, le changement sociopolitique qui a entraîné la rupture profonde du point de vu politique, économique et culture dans les façons traditionnelles de faire fonctionner l’État et la société québécoise ont institué une rupture importante et profonde entrainant une évolution séculaire. La rupture avec la tradition a été accélérée par les débats intenses sur la volonté de changement trouvé chez chaque acteur de la communauté. Chacun, en effet, voulant bannir les excès qui maintenaient le Québec dans la tradition et dans l’emprise de la domination anglo-saxonne, l’empêchant de se moderniser, a mis de l’avant sa volonté de changement dans l’espérant du bonheur de tous.
Nous savons que nous voulons tous nous dépasser, nous départir d’un certain héritage politique pour faire avancer le Gabon, comme le disent certains émergents. Pourtant, même si c’est une volonté partagée, l’évolution du pays piétine, je dirais même que dans certaines sphères le pays connait un recule.
Dans toute volonté commune de changement, comme dans toute société d’ailleurs, il existe des poches de résistance. Des gens qui désirent maintenir le statu quo pour ne pas perdre leurs privilèges et ainsi perpétuer des façons de faire et de vivre contraire à l’intérêt général, même si par ailleurs, ils vivent dans la crainte quotidienne de tout perdre. Il faut pourtant donner à ceux là les garanties de mieux vivre en commun si le pays change. C’est cela le but du forum patriotique. Chacun doit trouver dans le changement une condition d’existence apaisante et favorable à la créativité, à l’inventivité du pays que nous désirons. En recherchant le changement dans chacun et pour chacun, nous amorçons une révolution qui ne peut que provoquer la mutation de notre pays.
Joël Mbiamany-N’tchoreret
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire