L'image d'une charrue tirée par des bœufs est un symbole de logique puisqu'elle sous-entend que les éléments sont placés dans un ordre tel que le système puisse fonctionner. C'est cet aspect logique qui est mis en avant dans l'expression «mettre la charrue avant les bœufs».
En effet, cela signifie que les choses ne sont pas faites dans le bon ordre et que par conséquent, le résultat s'en ressentira forcément de façon négative. En somme, faut-il savoir s’organiser et prendre les choses par leur commencement pour les réussir.
La charrue en avant les bœufs, est un souvent utilisé pour tempérer l’enthousiasme de quelqu’un d’inexpérimenté. Au regard des résultats du développement socio-économique du Gabon et de l’état de la crise politique latente qui perdure depuis 2009, il faut croire que nous n’avons pas fait école de cette maxime.
En vérité, les slogans politiques en disent long sur l’état d’esprit de leurs auteurs. En 1967, alors que le pays ne compte véritablement qu’une route nationale et que l’on traverse tous les cours d’eau en pinasses, Omar Bongo institue la politique de Rénovation. Ouille… mais que voulait-il rénover?
Quelque dix ans plus tard, il réalise que rien n’avait été rénové. Il n'avait rien à rénover. En vue de la tenue du sommet de l’Organisation de l’Unité Afrique en 1977, il met en place, un an auparavant, la politique de Rénovation de la Rénovation. Les gabonais, à l’époque peu lettrés n’ont vu que du feu. Quelque deux décennies plus tard, quand on a fini par comprendre la tromperie des discours «de la minute du parti» et qu’eux-mêmes se rendirent compte que nous n’étions pas aussi ignorants, Omar Bongo et ses conseillers mirent en place le projet de société «les Actes pour le Gabon». Pourquoi ne pas avoir commencé en 1967 par ce projet? Peut-être, en 1993, aurions-nous rénové les acquis de ces actes. Et qu’aujourd’hui, au lieu de parler d’émergence, nous serions peut-être en train de rénover les acquis de la Rénovation. En fait, on a parlé de l'existence en projet comme si elle existait déjà: la charrue en avant des bœufs.
Incontestablement, le terme rénovation désigne les opérations par lesquelles une chose où l'un de ses éléments voit sa condition améliorée, par l'utilisation de matériaux neufs en remplacement des parties endommagées. Rénover la Rénovation, qui est une tautologie, signifié dans les effets l’idée d’un rafistolage d’un objet qui est en train de tomber en désuétude.
Il avait sans doute raison, il faut effectivement, avec le recule, savoir que vingt ans après les indépendances, le Gabon était déjà en désuétude par rapport au peu qui avait été construit. Il faut se l’avouer. À partir du milieu des années quatre-vingt, l'évolution du Gabon s'est arrêté. Le pays a entamé la chute dans les baffons de la misère, telle que nous pouvons la lire dans les actes que posent les compatriotes qui ont depuis élu domicile dans les décharges publiques de Mindoubé. Au début des années quatre-vingt-dix, Omar Bongo avait abdiqué. Il ne s’occupait même plus de la construction du pays. Seule la politique étrangère l’intéressait, pour se mêler de ce qui ne le regardait pas.
Avec le décès du grand camarade, que tous ont tout pardonné, l’heure devait être à la prise de conscience de ce qu’a été la calamité du développement du pays, de tous nos malheurs. Un grand déballage des fautes, des insuffisances des uns et des autres devant à cet égard permettre, dans une grande messe d’exorcisme de toutes les plaies que nous avons subi tant physiquement que psychologique, de nous remettre en cause, de se demander pardon et ainsi aller vers la guérison.
Nous n’avons pas eu droit à cette guérison collective. On nous a de nouveau enfoncé dans les baffons de cette misère. On a fait comme si tous ces sacrifices humains, tous ces corps trouvés un peu partout dans le pays démunis de leurs organes génitaux, ces incestes et autres actes abjectes, toute cette sorcellerie politique qui a conduit à la faillite des fleurons de l’économie gabonaise n’avaient pas été commandités, n’avaient eu lieu. Le pays souillé de-part-en-part, avait pourtant besoin, comme en Afrique du sud, qu’une discussion nationale du Grand Pardon se tienne et que le pays se lava de tous ces péchés que nous commîmes pour le gain du pouvoir quasi satanique.
Au lieu de cela, nous avons eu un enfoncement dans les baffons de ce que nous vivions déjà. Et comme pour ironiser la chose, parle-t-on d’émergence. À entendre les uns et les autres en dialoguer, c’est comme s’il s’agit d’une renaissance politique et économique. Comment renaître quand on n’a pas encore fini de mourir, qu’on est encore à l’état de l’agonie, l’avant dernier soupir retenu dans les entrailles.
Le mal qui a été fait à ce pays, à ses filles et à ses fils est toujours omniprésent. On aura bien vouloir se voiler la face, nous savons qu’au fond de nous, nous continuons à murmurer, à ressasser les douleurs de nos disputes familiales nées des accusations que nous faisons les unes contre les autres: des morts d’un tel et d’un tel autre; de la non réussite académique ou professionnelle des uns et des autres, des empêchements d’enfanter.
Les distanciations familiales observées dans les régions, dans les clans, dans les familles et dont on sait les répercussions dans la vie socio-collective ne mourront du simple fait du silence se dissiper, au contraire, la plaie béante continuera à nourrir les asticots, ceux-ci, rongeant de près ce qui reste de chaire immaculée, entrainera à l'amputation inévitable.
Pour tout cela, avant même de parler d’émergence, fallait-il parler de la reconstruction d’une base sociopolitique qui entraina l’exorcisme de toutes les rancœurs, qui dissipa les malentendus, les quiproquos. Ne nous voilons pas le visage, en l’absence de cette reconstruction sociopolitique, le pays est une chambre ou s’accumule du gaz butane et dont une étincelle favorisera l’explosion redoutée depuis ce discours sur l’Unité Nationale.
En effet, si la fin du règne d’Houphouet Boigny avait été suivie d’une réunion de grand déballage, le pays se serait évité les grands tourments qu’il est en train de vivre. Au lieu de cela, on a tout pardonné au père de l’indépendance et on a fait comme si tout avait été parfait. Or nous savons que, cette personne qui avait son palais présidentiel rattaché par un tunnel à l’ambassade de France, a soumis son pays à la domination économique et politique française. On sait ce qu’il en coûte de cette politique de soumission aujourd'hui. Les rues d'Abidjan et ces autres localités du pays vermille de soldat français, comme d'une occupation des israéliens du territoire palestinien.
En conclusion, disons que si ceux qui construisent les discours politiques du moment n’apprennent pas des erreurs du passé, nous sommes condamnés à vivre des moments difficiles. Il ne faut pas faire l’autruche, se cacher la tête dans des ambitions utopiques et faire comme si tout allait bien. Il faut penser le pays avant de mettre de l’avant des slogans politiques pour décliner ses propres rêves. Le pays ne va pas mal seulement sur le plan matériel (économique) mais sur le plan de l’être social, du vivre en soi et du vivre ensemble. Malgré le progrès que quelques-uns pourront accomplir, il continuera d’exister des rancœurs, un esprit de revanche dissimulé. Nous ne pouvons faire l’économie d’un déballage sociopolitique pour initier un autre départ politique et économique du pays. Il faut placer la charrue après les bœufs.
Joel Mbiamany-N’tchoreret
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