jeudi 17 mai 2012

Hollande ici, Hollande là : sommes-nous imbéciles à ce point?


 Les Gabonais comme plusieurs africains sont heureux de l’élection de M. Hollande comme président de la France. Je me suis abstenu jusqu’à maintenant d’émettre le moindre commentaire favorable à cette élection. C’est que l’enthousiasme qui habite certains est un sentiment que je ne saurais nourrir.

L’effervescence versée sur l’élection de M. Hollande de la part de mes compatriotes m’a conduit à examiner dans mes souvenirs l’histoire de mon peuple et de mon pays, particulièrement ces rendez-vous manqués : 1964, 1989 et 2009. Je me suis souvenu des événements qui m’ont été contés par mes parents sur le soutien donné à Léon Mba par l’armée française suite au coup d’État de 1964. Je me souvenu de l’arrogance affichée par les militaires français arpentant les rues de Libreville, au lendemain de la découverte du corps de Joseph Redjambé, pour étouffer les revendications de liberté de mon peuple. Je me suis aussi souvenu qu’en 2009, 2000 militaires français ayant pris place à Bifoun, étaient prêts à intervenir pour étouffer toute contestation par la rue de l’élection d’Ali Bongo proclamée par la Cour constitutionnelle. Dans l’examen de ces souvenirs et de la façon brutale par laquelle Gbagbo a été retiré du pouvoir, alors même que pas un socialiste ne s’en est offusqué, de la façon par laquelle Kadhafi a été exécuté, je suis arrivé à la triste conclusion que l’arrivée de M. Hollande à la tête de la République française ne changera rien à la condition de domination qui asservit mon peuple. Pourquoi m’enthousiasmerais-je! Qu’ai-je a espéré!

En effet, plusieurs compatriotes considèrent que M. Hollande est un progressiste, un démocrate qui ne saurait s’acoquiner avec les dictateurs qui nous gouvernent. Ali Bopngo, considéré dictateur, un lien de cause, effet et conséquence est établi. Ne pouvant tolérer M. Ali Bongo, le nouveau président le retirerait le soutien politique de la France. La tenue d’Ali Bongo au pouvoir dépendrait-elle uniquement de la reconnaissance que la France lui octroie? De sorte que, tel un socle de soutènement, ce soubassement tombé, le pouvoir gabonais s’écroulerait de lui-même? Il y a dans cette espérance le même mépris des capacités politiques d’Ali Bongo qui a prévalu depuis juin 2009.

Il faut se le dire, Ali Bongo est de tous ceux qui ont gouverné le Gabon depuis 1989, le politicien le plus habile. Il a su user du mépris à son égard pour surprendre tous ses adversaires politiques et même les observateurs les plus aguerris. La facilité, déconcertante, avec laquelle il s’est installé au pouvoir montre une intelligence politique supérieure, preuve d’une capacité à appréhender son environnement politique et à s’y ajuster. Il saura s’adapter au nouveau pouvoir français.

Par ailleurs, M. Hollande n’a pas un problème intime avec Ali Bongo. Pourquoi devra-t-il nécessairement agir pour son départ du pouvoir. M. Hollande est président pour servir la France et les intérêts des Français. Tant qu’Ali Bongo n’agira pas de façon contraire à ces intérêts, il n’y a pas de raison pour que M. Hollande milite pour son départ du pouvoir.

Assurément, les discours et les observations qui manifestent une résurgence politique harmonieuse au Gabon par l’arrivée de M. Hollande au pouvoir en France et la soumission de M. Ali Bongo témoignent d’une méprise sur ce que le Gabon représente comme enjeu dans l’affermissement de la puissance économique française dans le monde. La France travaillera en étroite collaboration avec tout Gabonais qui s’avérerait un partenaire charmant pour ses intérêts français au Gabon. De cela, à moins d’une révolution qui conduirait le peuple gabonais à affermir sa souveraineté sur ses richesses, son territoire et ses institutions politiques, la tutelle de la France sur le Gabon demeurera.

De même, la France maintiendra avec le Gabon que des relations d’intérêt favorables à son économie. À cet égard, quelle que soit la personne qui serait à la tête de l’État gabonais, il n’y aurait rien de différent quant à la nature de l’évolution politique et économique de notre pays. Il faut se le dire et le comprendre. Nous sommes sous le protectorat français par une absence de volonté de nous affranchir de la domination politique et économique qui nous étreint. Nous préférerons comme je le vois ces jours-ci faire le bon serviteur français par opposition au bon nationaliste gabonais. Dans cette soumission au blanc colonisateur, nous nous regardons en ennemi voulant être celui qui doit être coopté par le nouveau pouvoir français. Comme deux bêtes canines se disputant un os dont le maitre a retiré toute la chaire, nous nous regardons en chien de faïence et restons prisonniers de fausses certitudes.

À ne point douter, les divisions et l’égocentrisme politique qui nous caractérisent défavorisent toute prise de conscience de la nature réelle des causes de ce que nous vivons. Nous nous entretuons, nous nous insultons, nous nous haïssons. Par ces mauvais sentiments, des uns à l’égard des autres, nous prions fortement pour qu’aucun de nous ne parvienne à faire quoi que ce soit de positif pour le pays. Nous attendons la moindre faiblesse, l’erreur de l’autre pour montrer notre aigreur avec une méchanceté impitoyable.

Pourtant, l’histoire nous enseigne que c’est par l’union de leurs composantes que les peuples opprimés parviennent à s’en sortit de l’oppression. Si l’Inde avait connu le genre de clivage qui caractérise notre pays, Gandhi et Nérou ne seraient jamais parvenus à faire proclamer l’indépendance politique de l’Inde et du Pakistan.

En vérité, en l’absence d’une cohésion politique entre les filles et les fils du Gabon, toute émancipation politique de notre pays et de nos conditions sociales sont impossibles. La France a longtemps compris cela. Lorsqu’elle perçoit chez un compatriote une volonté de s’émanciper de sa tutelle, elle trouve un autre compatriote plus idiot pour agir contre le premier. Et c’est dans cet élan que depuis une semaine je vois mes compatriotes, les uns derrière les autres courir vers le parti socialiste français pour essayer de se faire aimer, croyant à tort que l’amour à leur égard sera nécessairement un désamour à l’égard des autres.

Je suis de ceux qui pensent que les Gabonais sortiront de leur condition pitoyable que lorsqu’ils se seront donné la main; lorsqu’ils prendront des actions concrètes pour s’administrer souverainement, lorsqu’ils conquerront leur peur de dire et de se projeter dans cette impulsion que se donnent les peuples libres pour la conquête du bien-être collectif.

Je refuse de croire que la quête d’un meilleur avenir de mon pays se résumerait dans cette ambition politique aveugle qui se caractérise par un concours de qui plaira le plus et le mieux au nouveau pouvoir français.

Les Gabonais sont un peuple. Comme tous les peuples du monde, il doit faire son histoire, bâtir sa nation, construire son pays se donner et atteindre les rêves d’un peuple libre. Arrêtons de faire les imbéciles heureux.

Joël Mbiamany-N’tchoreret

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire