samedi 22 mai 2010

«L’émergence» d’Ali Bongo Ondimba est une idéologie totalitaire

Lorsque l'on examine la politique d'émergence dans les actes posés par le gouvernement, on ne peut que constater qu'il s'agit d'un régime totalitaire en éclosion.
Le débat sur la démocratie en Afrique a toujours généralement tourné autour des élections pluralistes et de l’authenticité de l’expression exprimée par les citoyens. Pourtant à l’origine, l’idée de l’organisation politique dans la cité qui a conduit à faire naître le concept de démocratie n’avait pas pour fondement premier la concurrence des partis politiques. Il n’y avait dans la Grèce antique (berceau de la démocratie) des partis politiques. Le premier principe qui fonda la démocratie dans la cité athénienne fut celui de la liberté d’expression du citoyen
En effet, au Ve siècle avant Jésus Christ, les cités grecques furent dominées par des guerres qui fondèrent dans chaque ville des tyrans. À l’intérieur de chacune de ces cités, l’arbitraire dont fit montre ces tyrans engendrèrent des guerres entre aristocrates. Favorisant les troubles sociaux, les conflits qui en émergèrent conduisirent le peuple à arracher le pouvoir et à instaurer une législation soustraite à l’arbitraire de l’aristocratie. Le système politique résultant, éveillant à éviter l’émergence d’autres tyrans, établit un rapport du peuple au pouvoir par un mode de participation collective par lequel le peuple choisit lui-même ses dirigeants, en fonction de leurs aptitudes à convaincre du bien-fondé des buts qu’ils poursuivaient pour l’intérêt collectif.
Pour conquérir le pouvoir, apparut le besoin de la détention des connaissances pour influer sur le peuple. C’est par l’apprentissage de la raison que ces connaissances fussent acquises. La raison se manifestant par la parole, la justesse du propos, l’éducation à la conquête démocratique du pouvoir se traduisit par l’apprentissage de la rhétorique, l'art de convaincre par l’éloquence ainsi que la dialectique, l'art de discuter, de défendre une thèse contre un adversaire.
En vue de développer ces habiletés, l’éducation du citoyen prépara aux conflits de pensée par l’acquisition de l'esprit critique. Elle se fit à travers le développement de la rationalité et de la pensée. Puisque la pensée ne put être donnée, selon les principes développés par Aristote, l’éducation citoyenne consista, pour les philosophes maîtres de la dialectique et de la rhétorique, à dialoguer avec l’élève, à le laisser exprimer ses propres idées. Car c’est par la capacité à exprimer ses idées en vue de convaincre que le citoyen exerça ses droits d’homme libre.
De fait, la liberté de l’expression fut le premier fondement du droit du citoyen apte à s’exprimer pour l’intérêt collectif dans la cité. Ainsi, même dans l’antiquité romaine, le système politique qui pris racine au Sénat mis la joute verbale comme moyen de conquérir l’assentiment des tiers assemblés.
Certes, l’épée ou le glaive amènera certains à imposer leurs vues par la force à défaut de convaincre par l’éloquence. Dépourvus, de l’habileté de l’art du dialogue dans la recherche de la vertu, et dénués de tout fondement de vérité, les tyrans émergeants confisquèrent la liberté d’expression des autres citoyens, les interdirent également de penser par eux-mêmes.
Néanmoins, au XVII et XVIIIe siècle, la révolution des idées qui condamnèrent l’obscurantisme remis la liberté individuelle au cœur du fonctionnement politique. D’ailleurs, les théories sur l’État mises de l’avant par John Locke, Thomas Hobbes, Jean-Jacques Rousseau et les autres expliquent le fondement de l’État par la préservation de la liberté individuelle. Cette préservation sera le fait de la démocratie, en ce sens que le peuple assemblé, pour promouvoir la liberté de chacun, décidera de la façon de se gouverner et de qui sera à même de défendre l’intérêt collectif ayant conduit les citoyens à entrer dans un contrat social. C’est en cela que les chefs d’États des Etats-Unis d’Amérique prêtent serment en jurant de respecter la Constitution américaine. Il s’agit en fait de préserver cette liberté acquise dans la guerre d’indépendance contre l’Empire Britannique.
Mais au-delà du sermon, la liberté dans la démocratie américaine est préservée grâce à des mécanismes enchâssés dans la Constitution. Puisque même lorsque le peuple confère volontairement sa liberté, celle-ci peut lui être confisquée.
En conséquence, les théories développées sur l’État de droit ont posé le principe de la concurrence des pouvoirs dans tout système démocratique authentique : divers pouvoirs doivent éveiller à faire la promotion de la liberté. C’est en cela également qu’outre la charte des droits et libertés, la Constitution d’un État démocratique impose le principe de la séparation des pouvoirs.
En vérité, dès lors qu’un seul individu a tous les pouvoirs, il est une menace pour la liberté d’expression. Il doit être combattu. Nul n’a en soi suffisamment de sagesse pour faire un bon usage de la liberté du peuple dès lors qu’il a tous les pouvoirs de l’État. Tout prince titulaire de tous les pouvoirs est un dictateur. Quand il exerce ces pouvoirs par une idéologie, quel que soit le nom qu’on donne à cette idéologie, il est totalitaire. Étymologiquement, le totalitarisme est système tendant à la totalité, à tout. L'expression vient du fait qu'il ne s'agit pas seulement de contrôler l'activité des hommes, comme le ferait une dictature classique : un régime totalitaire tente de s'immiscer jusque dans la sphère intime de la pensée, en imposant à tous les citoyens l'adhésion à une idéologie obligatoire, hors de laquelle ils sont considérés comme ennemis de cité.
Le totalitarisme de ce fait est un régime qui n'admettant aucune opposition organisée. C’est pour cela, qu’il tend à travers les structures de l’État à confisquer la totalité des sphères de communication des individus.
Le fonctionnement politique actuel du Gabon s’apparente à du totalitarisme. L’opposition politique n’est pas libre de présenter ses opinions; la liberté de la presse est muselée voir bafouée; la liberté d’association reconnue par la constitution est endiguée. La critique du pouvoir est vue en toute circonstance comme une action de subversion. La fébrilité du pouvoir à laisser l’éloquence de l’opposition s’exprimer conduit à la constitution de tontons macoutes aptes à prendre les bâtons pour interdire toute voix discordante, toute forme de liberté.
En somme notons que le degré de liberté des Gabonais traduit l’état d’esprit dans lequel se trouve le fonctionnement politique, la démocratie de notre pays. Aucune émergence politique ne peut éclore en l’absence de la liberté. C’est la liberté du citoyen exprimée dans ses diverses entreprises, dans ses rêves et dans ses expériences qui est à la base de toute créativité. Si le pouvoir croit à l’émergence du Gabon, il doit promouvoir la liberté : la liberté d’entreprise sans entrave, la liberté de penser sans arrière pensée, la liberté de disposer de ses biens et d’en jouir, la liberté politique, la liberté d’association, la liberté de concurrence politique pure. En fait promouvoir la liberté qui fonde le citoyenneté républicaine.
Joel Mbiamany-N’tchoreret

Les enjeux de la révision de la Constitution actuelle

Le 21 janvier 2010, rentrée solennelle de la Cour constitutionnelle, la présidente de cette institution, Madame Marie-Madeleine Mborantsuo, invite le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif à réviser les textes qui organisent la vie politique du Gabon. Toutefois, son appel ne s’accompagne pas de recommandations pour favoriser le rapprochement en vue d’une recherche de consensus entre le pouvoir en place et l’Opposition en vue de cette réforme fondamentale. Compte tenu de l’état de crise de la légitimité de l’autorité politique de l’État, au regard de la crispation politique actuelle au Gabon, la présidente de la Cour constitutionnelle aurait joué son rôle citoyen en faisant pareille recommandation.
Messi Me Nang, N’Foule Mba et Nnang Ndong (Le consensus politique au Gabon, de 1960 à nos jours) considèrent le recours au consensus comme un « joker » aux mains du régime pour se tirer d’une situation difficile et consolider son pouvoir. À juste titre, ils voient dans la recherche du consensus ce qui «tue le jeu politique pluraliste et réduit les chances d’une alternance au sommet de l’État». Même si les prérogatives de la révision de la Constitution sont réservées au Parlement et au chef de l’État, nous sommes néanmoins d’avis qu’en l’absence d’une représentation politique significative de l’opposition au Parlement et de la manière dont les députés actuels ont été élus, le pouvoir doit initier les réformes du texte constitutionnel et du code électoral dans une démarche consensuelle avec l’opposition et la société civile. Ainsi, faudra-t-il, à défaut d’instituer une Constituante comme le suggère M. Bruno Ben Moubamba, former un comité constitutionnel composé à parité des représentants du pouvoir, des membres de l’opposition et des représentants de la société civile.

La réforme constitutionnelle consensuelle sera, à cet égard, une voie de sortie de l’état de guerre froide entre le pouvoir et l’opposition. L’exercice n’est pas inédit. Ce fut déjà le cas en 1989 avec la tenue de la Conférence nationale. Contrairement à la révision de 1989, les acteurs politiques et ceux de la société civile doivent être audacieux. La réforme attendue requiert le dépassement des prises de positions tacticiennes de la politique du ventre. Elle doit aller au fond des choses, instituer des postures radicalement nouvelles et innovantes.
En effet, la nécessaire révision constitutionnelle appelée par la Cour constitutionnelle n’est pas une vue de l’esprit. C’est la dénonciation des insuffisances et des défaillances institutionnelles qui ont entravé le bon déroulement de l’élection présidentielle de 2009 et qui ont mis une partie du pays à feu et à sang. De plus, la revendication de changements constitutionnels exprime aussi un besoin d’agir qui place la classe politique et les acteurs sociaux face à leurs responsabilités citoyennes. L’ampleur des défis à surmonter, pour moderniser la démocratie gabonaise et sortir de cet esprit d’État néo-patrimonial, ne doit pas conduire à des changements cosmétiques, mais instituer un véritable changement durable de régime édictant une séparation formelle et un équilibre des pouvoirs inédits. Partant de cette situation, le débat de cette révision constitutionnelle doit être largement dominé par la question de la répartition, de l’équilibre des pouvoirs, de l’imputabilité politique, de la préservation et de la sauvegarde des libertés individuelles.

Historiquement, rappelons que toutes les révisions constitutionnelles ont conduit à l’instauration de la primauté considérable du Président de la république. Ce qui établit un net déséquilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Autrement dit, le régime politique gabonais s’apparente considérablement à une « monarchie présidentielle ». Là, les pouvoirs ne sont pas partagés. Ils sont détenus par une seule et même personne. Et l’exercice des attributs de ces pouvoirs le rend omnipotent. En d’autres mots, il est le chef de l’État, le président de la République, le chef suprême des armées, le chef suprême de la magistrature, le chef de l’exécutif. Il nomme et fait nommer les membres du gouvernement, les chefs des corps constitués, les responsables des instances de contrôle institutionnel de l’État, les responsables des pouvoirs judiciaires et des personnes chargées de faire appliquer la loi et l’ordre.

La fameuse théorie de la séparation des pouvoirs ne s’aurait s’accommoder de cette nature de régime. Il faut rappeler que dans une réelle République le pouvoir suprême est celui du peuple assemblé. Le paradoxe que met à jour ce genre de régime politique et ses pratiques institutionnelles est l’érection d’une Constitution taillée sur mesure pour un individu comme l’est l’actuelle Constitution gabonaise. Un paradoxe qui, par certains aspects, prend les allures d’une impasse dans la configuration politique actuelle. Qui peut faire entendre raison au chef? La révision de la Constitution doit conduire les deux chambres du parlement à retrouver de façon formelle (dans la pratique et dans l’esprit de la Loi) les prérogatives de la délégation de la souveraineté du peuple à partir desquelles sont mis en œuvre les principes de direction politique et de contrôle institutionnel de l’État. En cela, deux postulats doivent être observés. Le premier provient de la thèse de la souveraineté du peuple de l'illustre philosophe genevois Jean-Jacques Rousseau. «[La volonté du peuple] est au-dessus des lois et ne peut être limitée par aucune norme juridique ni même celles de la constitution». Lorsque librement exprimée, la volonté du peuple gabonais ne doit plus être surpassée par les desseins du Président de la République. Cette volonté ne doit pas être circonscrite par des mécanismes qui la tiennent prisonnière entre les mains d’un individu. Le second résulte des travaux du philosophe anglais John Locke et limite les pouvoirs de l’exécutif par des normes constitutionnelles, que ce soit par les modes de traitement et de nomination des fonctionnaires du pouvoir judiciaire, ceux du contrôle du fonctionnement institutionnel et administratif de l’État, ou par la Charte des droits et libertés, qui doit être enchâssée dans la Constitution, et par la sauvegarde des mécanismes de révision constitutionnelle mettant la Loi fondamentale à l’abri des caprices de quelques-uns.

Mais conduire le Gabon vers la modernité de ses institutions et les changements souhaités par le peuple gabonais ne concerne pas uniquement le texte de la Constitution. Ils touchent également la lecture des pratiques politiques et institutionnelles. Il faut en fait fonder une sorte de révolution du bon sens pour faire entrer notre pays dans une nouvelle culture politique, caractérisée par la responsabilité collective devant les intérêts suprêmes de la Nation et le refus de la danse du ventre et de la sorcellerie politique.

Tous les animateurs de la vie de la cité : les acteurs politiques, les intellectuels, les hommes et les femmes, des médias et de la société civile, doivent, pour que les changements institutionnels souhaités aboutissent, avoir une nouvelle conception de leur devoir de citoyen. Le fonctionnement institutionnel passe alors davantage par la représentation que ces acteurs se feront de leur rôle dans le fonctionnement harmonieux de l’État que par des intérêts qui font prévaloir des bas instincts. Ils devront plus que jamais promouvoir une culture du pouvoir qui réhabilite la recherche de la vertu dans la direction et le contrôle des affaires de la cité. Sans cet indispensable préalable, toute réforme constitutionnelle est condamnée à rester une entreprise vide de sens et peut même s’avérer, à terme, contre la modernité de notre pays ou pour «l’émergence», pour utiliser l’expression en vogue. Pour cela, la philosophie qui sous-tend les revendications de changements constitutionnels doit remettre au goût du jour une rupture des comportements antérieurs et quelle que soit la signification qu’on lui donne, la pratique politique nouvelle doit marquer une étape nouvelle dans l’histoire politique du Gabon. Car sans ces changements de comportements, la révision constitutionnelle renverrait aux aléas de l’État néo-patrimonial, les gains que nous aurions pu réaliser pour faire avancer notre pays.

Par ailleurs, advenant que le pouvoir refuse d’initier une réforme constitutionnelle et préfère maintenir le statu quo, il revient aux leaders politiques d’une opposition réelle ou aux leaders de la société civile d’initier la révision constitutionnelle. Il pourrait s’agir d’une démarche d’initiative populaire. Les citoyens à travers une pétition s’arrogeraient le droit de récupérer les prérogatives déléguées à leurs représentants constatant que ces derniers ne s’acquittent pas de leur devoir constitutionnel. C’est une démocratie directe qui s’exercerait comme refus de la confiscation du pouvoir citoyen par l’exécutif.
Joel Mbiamany-N’tchoreret

lundi 8 mars 2010

Lettre ouverte à Ali Bongo Ondimba : un citoyen s’adressant à un autre citoyen.

C’est en votre qualité de citoyen que je prends la liberté de m’adresser à vous.
Je n’ai rien d’intime contre votre personne. Vous êtes citoyen gabonais comme tous les autres compatriotes. Je vous reconnais le droit de jouir de vos libertés républicaines même si vous n’en faites pas autant pour vos adversaires politiques. Ce qui m’amène à m’opposer à vous est ce que vous représentez politiquement : le «bongoïsme», cette façon archaïque de faire la politique dans la confiscation du pouvoir par la privatisation de l’État à des fins d’actions politiques personnelles.

J’entends par confiscation du pouvoir le fait par vous et les vôtres de vous saisir de l’autorité de l’État au détriment de la volonté du peuple et d’y instituer un ordre politico-judiciaire qui échappe à sa souveraine volonté. Pour ça, alors que nous nous serions crus affranchis de certaines pratiques de dictat, vous avez mis l’armée sur pied pour contrecarrer toute opposition à vos ambitions ; vous avez interdit l’exercice des droits politiques de vos opposants dans les lieux publics ; vous bâillonnez les libertés d’opinions et vous prenez seules les décisions qui concernent la totalité même lorsqu’elles découlent des prérogatives du Parlement. Et vos amis de la Cour Constitutionnelle, quand ils ne sont pas complices, ne trouvent rien à redire. En procédant comme vous le faites, selon Hegel, dans sa théorie de l’État, nous sommes en présence d’une dictature. Par votre tactique pour assiéger les consciences des Gabonais, Hannah Arendt (1992) parlerait de totalitarisme.

Pour parvenir à vos fins, vous faites usage de pratiques politiques d’une époque révolue. Et vous vous dites appartenir au clan des jeunes. Pardonnez-moi d’en douter. À l’exception du rap, dont-il faut vous reconnaître l’élégance de la voix et la légèreté de la jambe, vous n’êtes pas mon contemporain. Mais cela n’est pas suffisant pour que je vous combatte politiquement avec force.

Mon combat contre vous et vos amis est le fait de la tragédie que vivent de nombreux gabonais. Je compte dans les rangs des miens au Gabon au moins un mort toutes les quatre mois. Tous ces morts entrainent un ethnocide. C’est le système politique que vous incarnez que j’attribue la responsabilité de ce génocide. Voilà ma principale inculpation et la cause fondamentale de mon combat contre vous et vos amis.

L'article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide[], adoptée par l'assemblée générale des Nations unies, le 9 décembre 1948, et l'article 6 du Statut de Rome du17 juillet 1998, l'acte fondateur de la Cour pénale internationale, affirment que le génocide s'entend de tout acte qui entraîne la destruction physique, systématique d'un groupe ou d'une partie d'un groupe national du fait de sa composition sur la base ethniques, religieuses ou sociales. Cette destruction peut être un fait planifié ou des pratiques politiques qui aboutissent intentionnellement à cette destruction. Dans mon acte d’accusation contre vous, je soumets que le système et les pratiques politiques qui sont les votre et notamment de votre parti politique favorisent des conditions d'existence qui entraînent la destruction physique totale ou partielle de plusieurs communautés nationales du pays.

J’appartiens à deux communautés ethniques au Gabon, comme d’ailleurs la majeure partie de nos compatriotes. Mon père est d’origine mpongwèse. Ma mère est d’origine kota, une ethnie gabonaise qui se trouve dans la province du Moyen-Ogooué dans le village Junckville, situé dans le département de la Banga Bigné, canton Ebel alembé à 69 km de la commune de Ndjolé. Les Fang voisins immédiats des Okota, les appellent «mekora» du même glossonyme donné aux populations Bakota dans la province de l'Ogooué Ivindo, mais avec qui, les Okota n’ont par ailleurs aucun lien sociologique ou linguistique. Les Okota sont plus proches ou appartiennent aux groupes linguistiques des Mitchogo, des Okandet et les Apidji. Ces derniers étant leurs plus proches parents de par leur origine sociologique commune. Comme bien d’autres petits groupes ethnolinguistiques minoritaires du Gabon, les Okota paient le plus fort de la politique instaurée par le système PDG au lendemain du 12 mars 1968 et dont incarnez la continuité.

En effet, en 1967, lorsque le président défunt Omar Bongo Ondimba (OBO) succède à Léon Mba, son besoin de conservation du pouvoir le conduit à proscrire le multipartisme. Il fonde en mars 1968 le parti démocratique gabonais (PDG) parti unique. Puis pour asseoir son pouvoir, à travers la désignation des membres du gouvernement et de la haute fonction publique, il met en place un système ethno-géopolitique centré sur son ethnie et les ressortissants de sa Province. Pour éviter les clivages ethniques pouvant naitre de la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’une seule ethnie, le Président Bongo étend sa sphère d’influence à un réseau fiable d'amis d’autres ethnies.
Le système politique qui en émerge prend appui dans la politique de l’équilibrisme ethnique et le régionalisme qui sont la charpente de légitimation de son autorité politique et celui de l’État.

En instaurant le parti unique en mars 1968, OBO veut donner à son parti le même type de légitimité que celui détenu jadis par le BDG. Pour assurer l’appui à son autorité, puisque la désignation des représentants politiques sur la base de la pluralité de candidats et de la concurrence politique est prohibée, il désigne les représentants politiques dans les structures de l’État par cooptation. Les leaders ou les intellectuels de chaque région susceptibles de faire preuve d’une certaine notoriété auprès de leur ethnie sont approchés pour intégrer le parti et manifester leur soutien au chef de l’État. Ceux qui n’appuient pas le parti et son chef sont persécutés. En revanche, ceux qui adhèrent au PDG bénéficient de nominations au gouvernement et dans la haute fonction publique et parapublique.
La capacité de mobilisation de leur ethnie et de leur région dans l’expression de la fidélité au chef de l’État deviendra l’enjeu de l’action politique des candidats cooptés. Dans la joute politique, l’enjeu ne vise pas le service du peuple ou du pays, mais servir le président Omar Bongo: consolider sa légitimité politique. C’est par l’attachement au chef de l’État et au louange de sa gloire que l’on se mérite la reconnaissance politique et sociale. Le recours aux siens, à son ethnie et à sa région est dans ce contexte est une stratégie d'ascension politique et sociale. Pour cette ascension et le maintien aux plus hautes fonctions de l'État, le chef ethnique ou régional promu s’approprie les prérogatives, les ressources et les privilèges de sa fonction. Cette accumulation primitive de la parcelle de l’autorité politique et administrative de la fonction que le chef ethnique ou régional détient est assortie d’une redistribution concomitante auprès des siens, des membres de son ethnie et de sa région à des fins d’actions et de stratégies politiques pour détenir le monopole de la représentation politique de son ethnie ou de sa région dans les instances de l’administration de l’État. Dans ce processus, il importe moins au chef ethnique ou régional d’assurer le fonctionnement de l’État conforme aux principes de management que de préserver l’appui des siens, de son ethnie et de sa région à sa personne et par ricochet au chef de l’État.

Conséquemment, le clientélisme politique établit un cadre de l’économie de l’affection. Le fonctionnement de l’État se caractérise par des affections spontanées où la survie politique est synchronique à l’efficacité de l’appropriation à des fins personnelles des ressources de l’État en vue des redistributions clientélistes. Il s’instaure dès lors des vices dans le fonctionnement de l’État favorisant des pratiques de mauvaise gouvernance qui entrainent une gestion calamiteuse des ressources de l’État et plongent le pays dans la pauvreté et le sous développement.

Mais la particularité de votre système politique a été l’exclusion de certains Gabonais appartenant aux ethnies faiblement peuplées. Le Gabon compte plus d’une trentaine de groupes ethniques d’importance inégale. Les plus petites n’ont pu se faire valoir dans leur région. Elles ont été mises en marge par les ethnies plus dansement peuplées. De mêmes les régions qui comptent le moins d’instruits ont fait l’objet de discrimination au sein de l’appareil d’État. Les ressortissants des communautés ethniques faiblement peuplées n’ont pas eu un égal accès aux services et ressources de l’État. Dans la mesure où l’État est le garant des conditions d’existence, de nombreuses ethnies, des nombreuses personnes n’ont pas été considérées dans la comptabilité nationale.

Malgré un PIB de 14000 $, on retrouve ainsi auprès des ethnies qui comptent entre 300 et 1000 individus des conditions de vie du moyen-âge. Ces conditions sont la cause de la disparition lente de plusieurs de ces ethnies, dont les Okota.

En effet, il n’y a aucun Okota dans les services de police, dans la gendarmerie, dans l’armée, dans la haute fonction publique, dans l’enseignement secondaire. On ne les retrouve dans aucune instance administrative ou de décision de l’État. Les diplômés universitaires issus de cette communauté chôment où sont condamnés à occuper des emplois qui ne correspondent pas à leur formation. Ma petite sœur diplômée de l’école de préparation aux carrières administratives depuis trois ans vend des légumes au marché pour survivre. Mon petit frère, diplômé de l’ENES depuis deux ans, tient un petit bar que j’ai mis sur pied. Mon autre petit frère étudie au Ghana grâce à la solidarité communautaire. Plusieurs autres membres de ma famille végètent à longueur de journée. Quant à moi, malgré des multiplies diplômes et des connaissances qui pourraient être mis au service de mon pays, je suis contrains de vivre en exil faute de pouvoir comme mes frères et sœurs bénéficier d’appui dans l’État pour faire octroyer un emploi à la hauteur de ma formation académique.
La grâce du seigneur a voulu que mes frères et sœurs du côté de ma mère parviennent à nous instruire. Plusieurs Okota n’ont pas cette chance. Plusieurs jeunes filles Okota ne sont jamais parvenues au niveau de la seconde. La plupart des Okota sont soumis à des conditions de vie qui les plongent dans l’alcoolisme, l’usage des drogues, l’inceste, la violence, la paresse, la détresse sociale. Ils vivent comme ces aborigènes d’Australie ou du Canada placés dans des réserves. Il y a deux mois, le journal l’Union rapportait un cas de fait divers d’une jeune maman qui avait vu ses deux enfants brûlés dans la maison à Junckville. Cette jeune maman est ma nièce. La semaine dernière deux jeunes hommes d’environ 23 ans sont morts écrasés par un okoumé dans un chantier forestier. Cette semaine, un autre membre de notre communauté est porté disparu. Il y a environ deux mois, c’est un cousin qui est mort à l’hôpital de Kembo à Libreville dans l’indigence totale. La chaîne de télévision TV+ en a même fait l’objet d’une de ses chroniques.

Quand ce n’est pas la misère, la pauvreté qui tue les Okota, ce sont les conditions de travail dans les chantiers forestiers qui le font. Depuis juin 2008, nous avons perdu une quarantaine de personnes. C’est beaucoup pour une communauté qui compte moins de 1000 personnes. Les naissances étant limitées, notre communauté décroît rapidement. Si aucune mesure urgente n’est prise, dans cinq ans, les Okotas en tant que communauté ethnolinguistique viable vont disparaître.

En 1984, l’UNESCO recense au Gabon environ une soixantaine de groupes ethnolinguistiques. En 2003, une étude de l’Institut Pédagogique Nationale (2003) dénombre seulement une trentaine de groupes ethnolinguistiques au Gabon. La diminution constante des communautés ethnolinguistiques est le fait d’un ethnocide socioculturel qui résulte de l’incapacité des individus qui les composent d’accéder aux conditions minimalement décentes que l’on est en droit de s’attendre de recevoir de son État. Faut-il noter chez ces groupes l’absence d’une éducation de qualité, l’accès à des soins de santé viables, la possibilité de détenir un emploi pour subvenir aux besoins élémentaires, etc.

Par ailleurs, même au sein des groupes ethniques d’importance, il existe des ghettos, des individus qui ne sont pas pris en compte dans la redistribution clientéliste des prébendes. Sans bénéficier des courroies de transmission politiques, plusieurs gabonais appartenant aux groupes ethniques d’importance n'accèdent pas eux aussi aux services et ressources de l’État et sont soumis à des situations qui les condamnent à la misère.

Pendant longtemps, on a attribué au monopartisme la mauvaise gouvernance du pays. Les leaders politiques qui revendiquent le multipartisme à la fin des années quatre-vingt-dix ont cru qu’en instituant le pluralisme politique, le pays instaurerait des formes de gestion politique de l’État plus saines, plus équitables pour l’ensemble des populations et plus efficaces pour le bien-être collectif. Malheureusement, les déterminants qui instaurent le pluralisme politique n’ont pas gommé les logiques politiques clientélistes du parti unique. Et dans votre imaginaire politique, vous croyez qu’en instituant certaines réformes pour polir le système politique actuel, le pays émergerait de sa misère. Permettez-moi d’en douter.

La République que Léon Mba met sur pied, Gabon d’abord, et que votre défunt père a conduit au parachèvement l’édification, s’est institué sur un socle de fonctionnement que nous appelons la sorcellerie politique. Au milieu des années quatre-vingt, les pratiques que système engendre ont culbuté notre pays dans la misère et dans une pauvreté endémique. Le pays comme les populations qui le composent est malade.

La dernière élection présidentielle était une occasion pour le peuple Gabonais d’introduire une rupture avec les institutions de ce système politique. Nombreux sont ceux qui parmi nous ont cru à la fin de leur calvaire avec l’émergence d’une nouvelle classe et des pratiques politiques postmodernes. Votre entrée en force à la cité de la démocratie proclamer les résultats des urnes que vous connaissez a conduit à la survivance du PDG.

Plusieurs de vos supporteurs arguent que vous allez réformer le PDG. On ne peut qu’en rire tellement la sottise est énorme. Votre discours d’émergence, qui laisse pantois plus d’un gabonais instruit, consiste au polissage des institutions de la République de Léon Mba et d’Omar Bongo. Ce n’est pas d’un toilettage de ces institutions que nous voulons, mais leur renversement complet. Cela, vous ne l’avez pas compris parce que, comme le dit votre ami Sarkozy, vous ne vous êtes pas inscrit dans l’histoire, celle de la postmodernité, celle de mon époque où l’action politique vise en tout premier la promotion de la liberté du citoyen pour favoriser sa créativité, son instruction, son droit de se choisir un gouvernement qui soit celui de ses aspirations pour sa propre démarche d’accomplissement. Cette liberté qui conduirait les Okota et les autres communautés ethniques marginalisées à se doter des outils de leur propre survie.

Ainsi, par exemple, je pourrai rentrer dans mon pays occuper des fonctions et aider ma famille, ma communauté ; entrer dans des débats politiques et promouvoir des choix politiques en vue de favoriser l’épanouissement de ma communauté maternelle. Mai cela n’arrivera pas.

Pour vous maintenir au pouvoir, vous n’allez pas introduire une réforme de l’État, réviser la Constitution, le code électoral, instituer une Cour constitutionnelle à l’abri de l’influence et l’arbitraire politique. Tout comme vous le faites pour l’armée dans les rues de Libreville, vous maintiendrez des pratiques politiques d’exclusions de ceux qui ne vous font pas allégeance. Vous ne ferez rien pour les petites communautés ethniques du Gabon comme les Okota. Les individus qui les composent continueront à mourir par faute de politique gouvernementale conséquente. En cela, vous qui avez pris le pouvoir par la force pour nous refuser les changements que nous souhaitons, vous participez de l’ethnocide des Okota et des autres ethnies marginalisées. Il n’y a rien de ce que vous direz dans votre politique d’émergence qui soit de nature à soustraire ses communautés de leur inexorable fin. Il nous faut une rupture institutionnelle. Vous devez quittez le pouvoir de vous-même et soyez certain que nous trouverions un moyens de vous faire partir.

dimanche 7 mars 2010

L'Union Nationale : la naissance de la résistance politique nationale


Le coup d’état électoral perpétré lors de la dernière élection présidentielle anticipée au Gabon a développé des réflexes unitaires chez plusieurs politiques gabonais. Les plus lucides ont compris que la sauvegarde de l’État de droit, de la démocratie et des réels changements politiques passent par la coopération des femmes et des hommes même d’horizon opposées ou d’opinions politiques différentes. Au-delà de ce qui les opposa autrefois, face ce qui apparaît être comme une incarcération politique, ils sont mobilisés autour de quelques grandes valeurs éthiques: le courage, l'esprit de responsabilité citoyenne, l'honneur, la liberté, les droits citoyens, l'humanisme, la tolérance et le respect du droit juste. Le contraire de ce qu’on retrouva au Gabon au lendemain du 12 mars 1968 lorsque le monopartisme fut imposé.
En effet, la prise de conscience du danger dans lequel se trouve le pays au regard du monarchisme ambiant et de l’amateurisme politique ont fait découvrir à plusieurs la nécessité de donner la priorité à l'intérêt général par rapport à l'intérêt particulier pour faire barrage au régime politique qui, s’il parvenait à s’enraciner, constituera la plus puissante des dictatures en Afrique. Pour la première fois dans l’histoire politique du Gabon, les leaders progressistes ont su trouver, au plus profond d'eux-mêmes, la conviction de faire face à une situation politique qui risque de compromettre définitivement l’avenir du pays déjà hypothéqué par quarante année d’une pseudo rénovation démocratique et concertée.
L’Union Nationale, outre le fait qu’il proposera un projet de société inédit, se constitue au confluent d’un certain REFUS : l’incompétence, la brutalité policière et militaire, l’immaturité politique et le manque des valeurs républicaines du pouvoir illégitime de même que les traces indélébiles gravées dans la mémoire collective d’une insoutenable misère. D’aucuns s’interrogent sur les chances de l’éclosion d’une opposition nationale agissante au Gabon, sur un terrain sociopolitique miné par le règne de la terreur, l’arbitraire politique et institutionnel. Nous savons que l’opposition nationale sera muselée et poussée dans des retranchements et aucune pression internationale ne viendra influencer en profondeur cet état des choses, puisque la seule puissance étrangère susceptible de le faire est commanditaire du régime de répression actuel.

Aussi est-il logique d’envisager la conjugaison des efforts entre une opposition sur les idées politiques et celle d’actions pour amener les Gabonais, le moment venu, en rangs serrés, à exiger l’exercice des privilèges de leur souveraineté, notamment dans la perspective des échéances électorales de 2011. Pour cela, l’opposition nationale doit se construire sur des multiples facettes. Cette construction est non seulement une exigence, mais aussi un impératif. Il faut trouver le plus vite possible une issue à l’impasse politique actuelle caractérisée par l’insécurité et l’absence de vision pouvant sortir le pays de son sous-développement et surtout le respect par tous de la Loi fondamentale.

Nous savons que les facteurs en faveur des actions politiques efficientes de l’opposition nationale à court et moyen termes sont de loin moins nombreux que les désavantages cumulés auxquels cette opposition doit faire face. L’impopularité de Bongo Ondimba Ali constitue évidemment le meilleur atout pour quiconque envisagerait de conquérir le pouvoir par l’assentiment populaire. Le sentiment anti Bongo Ali est porté par un nombre impressionnant de Gabonais. Mais le pouvoir ne changera pas de main par l’adhésion populaire contre Bongo Ondimba Ali. Malgré les avantages potentiels dont pourrait bénéficier l’opposition nationale, celle-ci ne doit pas confondre les époques. Elle ne peut espérer procéder seulement par la dénonciation des incompétences, des violations, sans doute réelles, des droits de la personne par la dictature qu’elle combat, et compter en tirer un profit politique fondamental. Elle doit tenir compte du rôle de l’armée et la répression qu’elle mettra en œuvre. Également, il n’est plus, en effet, qu’un secret de Polichinelle que le régime de l’émergence à la gabonaise est un pion hautement important pour les réseaux français en Afrique. Ces derniers useront de tout leur poids pour faire barrage à la volonté des Gabonais librement exprimée dans les urnes.

Également, outre les aspects de la confiscation du pouvoir, l’opposition nationale doit aussi tenir compte du doute voir même de la naïveté du peuple gabonais que l’émergence à la gabonaise ne manquera pas de capitaliser dans ses manœuvre pour se maintenir au pouvoir. Tout comme, elle ne devra pas trop compter, dans ses dénonciations, sur l’opinion internationale. Cette dernière est rarement mobilisée par la protection des droits de la personne quand il n’y pas massacre à grande échelle. A la limite, les grands dirigeants de ce monde, lorsqu’ils ne sont pas complices, se surprennent régulièrement à admirer des criminels attitrés en les qualifiant de « fins stratèges » politiques quand la répression politique va dans le sens de leurs intérêts.

C’est pourquoi, nous croyons qu’il importe que l’opposition nationale place la lutte politique dans son contexte réel, tenant compte des réalités internes du pays. Il convient notamment de retenir que la scène politique gabonaise est un terrain hautement craintif. Il entraine plusieurs à la retenue et au doute. Les Gabonais cumulent les traumatismes d’espérances déçues. Ils sont victimes du louvoiement qui caractérise plusieurs leaders politiques dits de l’opposition. Ils ont été le champ d’expérimentation des souffrances occasionnées par des promesses qui ont entraînées plusieurs compatriotes à payer chèrement leur engagement politique.

Assurément, l’opposition politique gabonaise a perdu toute crédibilité aux yeux de nombreux Gabonais le jour où les anciens membres du FUAPO ont appelé à une démocratie «apaisée». La convivialité qui en a résulté a conduit certains à se désolidariser de leurs amis politiques, de leur parti politique, niant leur discours d’en découdre avec le régime, pour entrer dans les différents gouvernements Bongo, jetant par le fait même aux orties les espoirs qu’ils avaient suscités suivant les revendications de la tenue de la conférence nationale en 1990.

Au regard de cette réalité, il ne suffit pas aujourd’hui à l’opposition nationale de faire uniquement des promesses. Le Gabonais qui veut s’engager dans le combat veut savoir avec certitude jusque où ira le leader qui l’invite à combattre et comment son engagement pourra réellement porter fruit. Ce Gabonais sait que le régime d’émergence à la gabonaise ne partira pas à la suite d’échéances électorales organisées consciemment par ce même régime. Cela relèverait d’un angélisme déplacé que de tabler sur une telle perspective.

Les Gabonais assument que le régime d’émergence ne pourra emporter la majorité des voix exprimées lors d’un scrutin librement discuté. Mais ils savent également qu’une telle réalité ne suppose aucunement qu’il y aura alternance. Pour être à la hauteur des attentes légitimes du peuple gabonais, l’opposition nationale se doit donc d’instruire des actions et des projets qu’elle entend entreprendre en vue de rassurer tout Gabonais pris individuellement ou en fonction de ses origines, ses croyances et ses convictions idéologiques que sa mobilisation va apporter fruit. Ainsi, le Gabonais, traumatisé, déçu et victime des conséquences d’une opposition du ventre, vendra très cher la perte de son pouvoir politique advenant que le pouvoir illégitime tente de l’usurper une autre fois.

Les slogans ne sont plus à cet égard en mesure de vaincre le scepticisme qui domine la conscience des Gabonais. Un minimum de rigueur et de préalables s’imposent pour mener les Gabonais à s’engager de façon décisive contre la dictature du régime d’émergence à la gabonaise : le respect et la défense du vote et des moyens pour les faire prévaloir doivent être bien expliqués à chaque Gabonais.

Les croyances de la proclamation des votes légitimes ayant montré à suffisance leurs limites, doivent être complètement oubliées. Il faut que l’opposition nationale se décide à affronter toute action qui consistera au maraudage de la volonté collective exprimée. L’opposition nationale doit donc proclamer haut et fort : finie l’époque où le simple fait de la proclamation par la CENAP des résultats tronquées entérinées par une cours constitutionnelle «macoute» suffise à légitimer l’autorité politique de l’État.

Il est réaliste de croire que des actions concertées de tous les démocrates pour s’opposer par tous les moyens à la tricherie politique soient possibles et semblent même être un passage obligé pour la réussite de l’opposition nationale. Pour ça, il faut que l’opposition réunisse un certain nombre de faits accomplis susceptibles de convaincre tout Gabonais désireux de s’engager dans le combat du sérieux et de la consistance de son action.

Il faut se donner la peine de faire une démonstration du caractère innovant du projet que l’on porte. Entre autres signaux forts, il faudrait : se libérer des contraintes pseudo-morales et légalistes dans une société où ceux qui embrigadent le pouvoir le font souvent au détriment de la loi républicaine : l’opposition nationale ne doit, sous aucun prétexte, croire aux principes fondamentaux d’une justice équitable et sur le respect absolu de la loi par le camp en face; le leadership de l’opposition devrait marquer la différence en initiant des débats francs sur les questions sensibles du non respect par le pouvoir de la loi fondamentale.

Au regard de ces débats, si jamais l’opposition nationale devait prendre la courageuse décision de s’opposer par tous les moyens à la manipulation des résultats des urnes, elle devrait objectivement instruire le peuple sur un tel engagement et montrer au peuple qu’elle n’attendrait pas à reculer. C’est ainsi seulement que le peuple comme un seul homme se mobilisera contre la dictature émergente et que la résistance politique aura un sens.