lundi 7 novembre 2011

Le déficit d’attention et ses effets psychosociaux

Je suis en ce moment en train de travailler avec une adolescente qui éprouve énormément des difficultés à s’adapter socialement dans son environnement social et scolaire. Dans l’examen fait en clinique, il a été diagnostiqué chez elle un déficit d’attention (DA). Les DA sont de plusieurs ordres. Dans le milieu scolaire ou j’interviens, les plus connus sont les TDA/H ou trouble de déficit d’attention avec hyperactivité. L’adolescente qui nous a été référé a un DA causé par un deuil qui a profondément bouleversé son développement psychosocial.

Elle a développé à la suite de ce deuil une incapacité à assumer son potentiel sociocognitif. Cette incapacité crée une perte qui à son tour occasionne un trouble du comportement favorisant ce que l’on appelle dans notre métier l’inadaptation sociale. Et, comme dans tout perte, l’incapacité entraîne toutes d’émotions inhérentes au deuil: le déni de la réalité, la colère, le marchandage, la dépression et, etc.

Pour les personnes DA non diagnostiquées et non traitées, ce deuil n'est jamais assumé car la perte n'a jamais été identifiée. En conséquence, ces personnes sont prisonnières de la colère ou de la dépression qui sont pourtant normales pour des personnes en deuil. Au point de départ, la colère et la dépression non résolues ne sont ressenties que pendant l'enfance ou l'adolescence, à l'école. Mais elles seront ressenties également dans toute situation d'apprentissage ou de tâche à accomplir. Ainsi ces personnes seront frustrées et dépressives en permanence.

La colère sera déclenchée par un incident anodin ou parfois même par aucune cause apparente, tout au moins aux yeux de l'entourage. Si la colère est normale chez un personne qui vit le deuil, les personnes DA souffriront quant à elle de colères incontrôlées pour de multiples raisons et sans doute aussi à cause d'un deuil non résolu. Entre autres raisons, le déficit d'attention rend la personne moins efficace qu'elle ne le serait normalement, d'où la frustration. Parce que la personne est incapable de contrôler son TDA, elle aura l'impression d'avoir perdu le contrôle de sa vie et elle se sentira démunie. La frustration et l'impuissance font mal, très mal. Et la colère est une défense spontanée contre la souffrance, dès lors qu’elle aura le sentiment d’être attaquée, elle agira de façon incontrôlée comme pour par mécanisme de défense instinctif. Mais il y a toujours un sentiment sous-jacent à la colère, c'est l'impuissance, le désespoir, la peur ou la frustration qui favorisent le débordement émotif.

Le débordement émotif est un autre facteur sous-jacent à la colère des personnes déficientes attentionnelles qui s'ignorent. L'expression «l'émotivité à fleur de peau» a été conçue sur mesure pour elles. Elles sont tellement hypersensibles qu'elles sont incapables de trier les émotions agréables des émotions désagréables. Elles absorbent toutes les émotions instantanément et sans distinction au point qu'elles en sont inondées. L'impression de débordement émotif fait que la personne DA se sent menacée et confuse, et elle réagit alors en désespoir de cause comme pour sauver sa peau.

Elle est consciente de tout ce qui se passe autour d'elle, elle a le cœur sur la main. On dira souvent qu'elle exagère, mais il n'en est rien si on tient compte de ce qu'elle ressent dans sa peau. Il nous semble à nous qu'elle exagère, mais si nous tenons compte de l'intensité des émotions qui l'habitent, ses réactions sont compréhensibles.

La vulnérabilité crée le besoin de se protéger; c'est ainsi que la personne s'enrage et pique des colères à propos de tout et de rien. «Éloignez la souffrance», voilà ce que veulent dire ses sautes d'humeur. Souvent la cause de ces sautes d'humeur est exagérée, mais elle est toujours là. Un mécanisme de défense? direz-vous, et vous aurez raison. Un mécanisme nécessaire aussi longtemps que la personne DA n'aura pas trouvé une façon plus efficace et moins dommageable de se protéger.

On trouvera dans la personne DA non traitée la tristesse de se faire reprocher constamment d'être dans la lune, la douleur d'être méprisée, rejetée, ou parfois même physiquement punie pour un travail qui n'a pas été fait, qui ne pouvait pas être fait. On trouvera l'impuissance à comprendre ce qui a mal été, et ce qu'on aurait pu y changer. On trouvera aussi un désespoir profond.

Plus souvent, on y voit la confusion. «Pourquoi est-elle fâchée contre moi», demande le mari, «puisque j'ai fait de mon mieux.» Comme cet homme qui amène sa femme au restaurant, étant convenu qu'il paiera la facture, mais qui s'engage dans une conversation avec quelqu'un d'autre en faisant le plein d'essence, et dont la femme se demande ensuite où il est parti. Pourquoi es-tu fâchée contre moi? Pourquoi suis-je incapable de me concentrer sur ce que je dois faire? Pourquoi ne puis-je pas me rendre du point A au point B sans me laisser distraire? Qu'est-ce que je fais dans la vie?

Souvenons-nous que les personnes déficientes attentionnelles non diagnostiquées et non traitées trouvent que le monde est bourdonnant, affairé, tout va trop vite. Elles sont incapables d'apprivoiser leur environnement, de bloquer les stimuli indésirables qui leur empoisonnent l'existence. Ce n'est pas seulement le monde qui les rend confuses, mais aussi leurs réactions.

Les personnes qui ont un déficit d'attention sont colériques, frustrées, confuses et hors d'elles-mêmes. Elles sont parfois dépressives chroniques, prisonnières de leur deuil, un deuil dont elles ignorent l'objet. Leur crainte de l'échec est énorme et invalidante. Il n'y a pas de quoi à s'étonner quand on sait que leur vie entière n'est qu'une suite interminable d'échecs. Pourquoi une personne si habituée à l'échec entreprendrait-elle de nouvelles expériences ou s'engagerait-elle dans de nouvelles situations qui ne lui vaudront que de nouveaux échecs.

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