jeudi 5 janvier 2012

La troisième voie : fondements du projet de société politique


Pour favoriser les changements sociopolitiques espérés au Gabon, faut-il incarner une posture politique nouvelle. Nous soutenons qu’elle doit placer le citoyen au cœur de la pensée et de l’action politique et économique, pour que nos enfants vivent beaucoup mieux que nous. Elle sera envisagée sous l’angle de la reconstruction du citoyen.

Les citoyens possèdent des droits politiques et des droits civils. Par ces droits, ils se donnent un État et un gouvernement pour leur bien-être politique et économique et pour l'amélioration de l’espace de vie dans lequel ils évoluent.

La difficulté d’être réellement citoyen gabonais aujourd’hui, comme hier par ailleurs, est le fait que les individus n’arrivent pas à bénéficier des droits civils et politiques qui font d’eux des citoyens à part entière. Pour cela, les Gabonais n’ont jamais pu se donner un État et un gouvernement qui permettent de satisfaire pleinement leur bien-être, de développer les moyens d’une vie paisible.

L’état de la condition politique du citoyen gabonais

Le système politique gabonais, entendu à la fois comme cadre d’organisation et de fonctionnement des partis politiques et de l’État, a ses fondements dans le mode du gouvernement colonial et dans les traditions africaines. Sous la tutelle coloniale, le colon traitait le colonisé tel un mineur. Incapable de se gouverner par son propre entendement, le colon devait penser et agir pour lui. Également, dans les sociétés traditionnelles africaines, les aînés exercent une tutelle sur les plus jeunes. Un jeune ne peut parler lorsque l’aîné est présent. Il est astreint à l’autorité du droit d’ainesse. Il est de fait tenu à la soumission à l’égard des aînées dans toutes les décisions qui concernent le fonctionnement de la famille, de la communauté et même du pays.

La mise en place d’un État moderne, à la faveur des indépendances des sociétés africaines, n’a pas gommé les dialectiques de l’autorité vécues sous la colonisation et celle de la société traditionnelle africaine. Elles ont subsisté dans les formes de la modernité de l’État de droit. Il en résulte un mode hybride de l’autorité dans la vie politique et dans les institutions de l’État. On y voit, sur les principes de l’État de droit, une juxtaposition des formes de domination du citoyen, héritage de la colonisation, et des modes de soumission du citoyen, héritage de la tradition. La subsistance des formes de l’autorité coloniale et traditionnelle favorise un lien du citoyen au chef politique sous la forme d’un rapport paternaliste.

Le paternalisme est l'attitude d'une personne en situation d’autorité qui, sous couvert d’actions politiques destinées au citoyen, impose une tutelle politique, par un comportement à la fois bienveillant et autoritaire. Cette tutelle s’exerce par l’entremise des liens ombilicaux entre le militant et la politique, entre l’État et le citoyen, entre l’individu et la société, entre l’habitant et l’économie. Ces liens ombilicaux entraînent les chefs à occuper tous les espaces d’expression économique, sociale, politique et culturelle du citoyen dans l’exercice de sa citoyenneté. De fait, les décisions, les comportements des chefs dans les partis politiques comme dans le fonctionnement politique de l’État forcent une infantilisation favorisant une déférence du citoyen à l'égard du chef.

Conséquemment, alors qu’il est censé être au cœur de la pensée et de l’action, le citoyen gabonais est marginalisé, placé pour ainsi dire en périphérie du lieu de la pensée de l’action politique et économique qui le concerne. Le chef pense pour le citoyen gabonais, fait des choses au nom du citoyen gabonais. Et comme par osmose, les actions des chefs sont censées être l’expression des ambitions du citoyen gabonais. Lorsque le chef se trompe sur ce qui est essentiel pour le bien-être du citoyen gabonais, sans qu’il en recevoir une reddition des comptes, le citoyen est prié de croire à une autre espérance, une énième pensée, une énième action, dont il n’aura encore rien à dire et qui pour l’essentiel, ne sera qu’une d’esprit.

Paradoxalement, quand ça va mal, on demande aux citoyens gabonais de se mobiliser et se mettre à l’avant pour revendiquer des droits politiques qu’ils n’ont jamais exercés. Faut-il s’étonner que cette mobilisation ne se fasse qu’à demi-teinte et que pour plusieurs Gabonais, les bagarres et les combats politiques entre chefs ne les concernent pas!

En vérité, les revendications politiques qui sont faites, bien que les citoyens soient ceux qui paient le plus lourd tribut de la mauvaise gouvernance politique, ne sont pas le fait de l’initiative des citoyens. Ils sont entraînés par des facteurs étrangers à la caractérisation de la citoyenneté. Voilà pourquoi leur mobilisation, pour ces revendications politiques, est malingre, voire inexistante.

Effectivement, la revendication des droits citoyens suppose l’existence d’une organisation politique qui serait essentiellement l’émanation de l’expression des droits politique et des droits civils des citoyens. Par rapport à l’exercice de ces droits, lorsque l’État ne fonctionne pas convenablement, pour éviter le péril de leurs droits, les citoyens entrent par leur propre initiative dans la revendication de leur citoyenneté. Une telle initiative ne peut exister au Gabon. La construction de l’État gabonais, en termes de droits politiques et de droits civils, est approximative. La citoyenneté dans cet État n’est qu’une apparence. Les identités politiques qui y prévalent ne sont que des identités ethniques. L’identité citoyenne est une chimère.

Dans un État de construction achevée, les individus sont d’abord citoyens avant de faire valoir les identités ethniques. Et le rôle que jouent les organisations, les institutions politiques, judiciaires et démocratiques promeuvent une telle identification. Rien, dans l’organisation politique et dans le fonctionnement de l’État gabonais n’est de nature à favoriser concrètement les bases d’une identification préalable à l’identification ethnique.

Au contraire, les héritages coloniaux et ceux de la société traditionnelle guident des modes de comportements qui nourrissent, selon Weber, des croyances subjectives d'appartenance sociobiologiques sur des similitudes d'habitus communautaires, de sorte que, devenant le référent existentiel au politicus, les individus entretiennent, par rapport au politique ou au chef politique, des rapports qui annihilent les fonctions citoyennes. Ces fonctions qui valorisent l'exercice plein de la citoyenneté.

Subséquemment, indépendamment de qui gouverne, la manière de gouverner, le Gabon continuera à fonctionner de la même façon tant qu’il n’y aura pas de changement dans le rapport que l’individu entretient avec le politique et/ou avec l’État. Ce changement ne peut s’opérer que par une reconstruction préalable du citoyen, laquelle reconstruction est inéluctablement la construction d’un État autre, un État de droit du citoyen, par lequel, à travers un régime politique entièrement démocratique, il pourra justement revendiquer ses droits politiques et civils. Parce que, ce régime politique sera d’abord celui du citoyen, jaloux de ses droits et de ses privilèges.

Voici brièvement exposés les fondements du projet de société politique que nous souhaitons mettre de l’avant : la reconstruction du citoyen gabonais. Dans la section qui suit, nous exposons de façon succincte comment notre projet entend favoriser cette reconstruction.

La reconstruction du citoyen gabonais

Il faut redonner au citoyen ses droits politiques et civils. Ce sont ces droits qui bâtissent l’État de droit et le pouvoir politique qui en résulte. L’inverse est une forme de paternalisme qui entraîne tous les abus politiques décriés. L’organisation politique au Gabon doit privilégier l’action du citoyen comme axe autour duquel l’action de la conquête du pouvoir se fera.

Pour cela, il faut placer l’individu au cœur de l’action politique en l’entraînant à être conscient de ses droits de citoyen. Il sera d’autant plus en mesure d’en revendiquer la jouissance. Nous devons donc sortir des pratiques qui favorisent la domination et la soumission politiques du citoyen et faire en sorte qu’il conquiert les espaces d’expression politique et civils qui fondent sa citoyenneté. Il faut aussi pour cela arrêter de penser à la place du citoyen, dire ce qu’il doit faire et comment le faire. Le citoyen sera entrainé à se questionner sur ses conditions d’existence, l’amener à voir comment il peut améliorer ses conditions de vie et donc à l’entraîner à percevoir quels outils, quels instruments lui sont essentiels pour être un citoyen à part entière.

Pour qu’une telle prise de conscience advienne, nous considérons placer le citoyen au centre du processus du projet politique que nous préconisons en tant qu’acteur constitutif de l’organisation politique par rapport ses capacités et ses objectifs de développement social et politique.

La construction du citoyen se fera dès selon trois trajectoires politiques:

a) L’identification de ses droits politiques;

b) L’organisation politique comme outils de la revendication de ses droits;

c) L’organisation politique comme outils de conquête de ses droits politiques.

Par droit politique, nous entendons les libertés qu’a un individu de s’associer à d’autres individus, d’appartenir à notre organisation politique en vue faire valoir des demandes à l’État pour l’amélioration des conditions de vie.

Ces demandes sont légitimes, en ce sens qu’ils ne sont pas le fait de la bonté d’une tierce personne. Dans la quête de ces droits pour-soi ou pour une autre personne, le militant, acteur, au centre l’action politique sera en mesure de s’exprimer sur les moyens par lesquels l’organisation dont il est constituant, entend revendiquer ses droits de l’État. Par sa propre expression, il sera en mesure d’être un des dirigeants ou de décider qui doit parler en son nom à propos des droits revendiqués.

Concrètement, au regard de ses conditions d’existence et rapports aux outils que le pays détient, susceptibles, d’améliorer ses conditions de vie, le militant sera encouragé à se donner les moyens d’expression et à décider à travers les instances du parti, des droits politiques et civils qu'il entend exigés. Il sera capable pour ce fait, de dire quoi revendiquer, comment le revendiquer. Le militant ne sera jamais mis devant le fait accompli d’une stratégie politique qui n’a rien à avoir avec son bien-être politique immédiat, ou dont il n’aura pas préalablement discuté de la portée, de la pertinence et de l’intérêt

En ayant la prérogative de la désignation des revendications, des moyens et des processus de leurs expressions, le militant sera d’autant plus engagé à les faire aboutir. Il se reconnaîtra dans le mot d’ordre par lequel le parti fera commande de la mobilisation en vue faire valoir les droits des citoyens.

Les structures et les organes de fonctionnement du parti seront ainsi perçus comme le cadre à travers lequel le citoyen exprime ses insatisfactions politiques à l’égard de l’État et le moyen de l’expression de l’amélioration du fonctionnement de l’État à sa satisfaction, dans le respect de la loi à laquelle il aura participé directement ou indirectement à mettre en place. Les structures du parti seront pour cela construites pour que toute communication émise par le citoyen soit examinée par le parti et qu’une réponse lui soit adressée dans un délai raisonnable pour l’informer des mécanismes mis en place pour corriger son inconfort politique. Le parti, à la manière d’un syndicat, sera à cet égard à la disposition du militant pour protéger ses droits et préserver ses intérêts de citoyen.

Ainsi, en toute circonstance, dans son idéologie et dans son programme politique, le parti sera l’outil d’expression de la conquête des ambitions, des droits et des privilèges politiques du militant vis-à-vis de l’État par un exercice direct de l’action politique dans les rôles et fonctions qu’il s’attribuera dans le fonctionnement du parti.

La conquête de ses droits vis-à-vis de l’État sera pour cela des luttes politiques voir révolutionnaire que le parti aura commandées. Car c’est par le militant, au nom du militant, que cette commande sera faite par le parti. Ainsi, même si cette lutte se trouve être des combats électoraux ou révolutionnaires, elle trouvera en première ligne le militant engagé et mobilisé. Parce que dans son essence de citoyen, au cœur de l’action politique, le militant comprendra que les droits politiques qu’il revendique sont les droits qui le permettent, en tant que citoyen, d’exercer sa souveraineté nationale et donc sa citoyenneté. Et, que si cette citoyenneté n’est pas préservée, il en va de son bien-être immédiat et celui des autres concitoyens

Les effets de l’exercice des droits politiques sur le bien-être des citoyens

Comme dit précédemment, l’État est la résultante de l’exercice de la citoyenneté. En d’autres mots, c’est pour la quête du bien-être des citoyens que l’État est institué. Ainsi, dans un État où les droits des citoyens sont respectés et les privilèges préservés, l’action de l’État dans ses politiques vise prioritairement le bien-être et le conforme des citoyens, dans la satisfaction de leurs droits.

En exerçant ses droits politiques sur l’État à travers le parti, le citoyen se met en mode de contrôle de l’action de l’État qui ne peut se permettre des dépenses somptueuses qui n’ont rien à avoir avec le bien-être immédiat ou à moyen terme pour l’ensemble des citoyens. Par rapport à son militantisme, le citoyen veille donc à ce que l’État soit géré au mieux en vue justement de la satisfaction de ses droits et privilèges. Si l’État dans son fonctionnement n’est pas en mesure de répondre à leurs besoins, les citoyens militants se mobiliseront pour faire attendre raison à l’État dont ils sont la source de l’autorité.

En conclusion, la troisième voie est une approche politique qui met le citoyen au cœur de la pensée et de l’action de son développement par la conquête des espaces de l’expression politique qui favorisent indubitablement l’expansion de ses libertés et de la jouissance de ses droits. Dans cette voie, les dogmatismes politiques ne sont pas les bienvenus. Il s’agit d’ouvrir des perspectives qui engagent le citoyen aux voies de la conquête par le citoyen de l’espace politique, économique et social qui lui est confisqué. Pour cela, c’est le citoyen, dans un cadre organisé qui décide de ce que les chefs doivent faire ou entreprendre comme stratégies et/ou action politique. En mobilisant le citoyen dès le départ, on est certain de l’entraîner à plus de détermination et à plus d’engagements dans le changement politique que nous souhaitons. Pour cela, la troisième voie privilégie la démocratie à tous les niveaux. On ne peut demander à certains de pratiquer la démocratie quand soi-même on pratique l'autocratie. Dans les prochains jours, nous proposerons les fondements du projet de société économique de la troisième voie.

Joël Mbiamany-N’tchoreret

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