mardi 20 novembre 2012

De la lutte politique en question : autopsie des craintes des uns à l’égard des autres.

La conduite de la lutte politique, pour le triomphe de l’exercice de la souveraineté des peuples dans la constitution de leur gouvernement, a constitué historiquement une querelle entre partisans de cette lutte. Pourtant, il n’y a pas une seule façon de provoquer les bouleversements politiques. Certains sont légitimés de croire au recours des moyens de désobéissance civile qui provoqueraient des blocages obligeant à des discussions nationales en vue de présider aux changements institutionnels souhaités ; d’autres sont tout aussi légitimés de croire  à l’action insurrectionnelle qui, favorisant un vide institutionnel, obligerait la tenue d’une Constituante pour reconstruire le cadre institutionnel de l’État détruit.

Georges Sorel, défenseur de la première orientation, affirmait que la grève générale sur une longue période était suffisante pour renverser le pouvoir. Rosa Luxembourg, au contraire, prétendait que ce moyen est inefficace s’il n’intègre pas une stratégie politique globale par rapport à l’ensemble des composantes de la société. Albert Schultz, soutenant la perspective de Rosa Luxembourg, fit valoir, à cet égard, que toute révolution non fondée sur un projet de société conçu par l’ensemble des leaders engagés de la lutte politique conduit inévitablement soit à l’échec ou au triomphe des maux encore plus ravageurs que ceux combattus dans cette lutte.

Subséquemment, de peur d’une victoire amère, des leaders prudents préfèrent baisser leur étendard, parfois accepter le statu quo au détriment du changement à tout prix. De la même façon, plusieurs leaders, en l’absence d’une stratégie trouvée cohérente, préfèrent s’abstenir de s’engager dans une lutte vouée en apparence à l’échec.

Albert Schultz nous enseigne par conséquent que la force de l’opposition contre un régime politique dictatorial est fonction de la cohérence dans les finalités des bouleversements politiques convoités. Pour juger de la qualité de la lutte et du caractère potentiellement mobilisateur, faut-il évaluer la vertu de l’objet du combat de tous dans cette lutte. Dès lors que les fins de la lutte sont partagées et que les leaders sont probes dans leur lutte politique, toutes les chances du triomphe de la lutte politique sont réunies, peu importe les moyens qui soutiennent cette lutte ou les voies empruntées.

Au regard de ce qui précède, la faiblesse de la lutte politique gabonaise et de son caractère démobilisateur provient du manque de confiance et de considération des acteurs de l'opposition entre eux dans cette lutte. Il en résulte une impossibilité de construire une finalité objective de la lutte politique à mener. Chacun se croyant investi d’une colère honnête, pour évincer les tenants du pouvoir, décide avec qui il faut travailler et avec qui il ne le faut pas.

De cette exclusion, de la même façon qu’on note une appropriation de l’État pour des fins politiques privées, on note une appropriation de la lutte politique contre la dictature pour le triomphe des intérêts politiques personnels. De fait, bien que la lutte politique à faire soit prononcée au nom du peuple, elle n’est pas menée avec le peuple. Voilà la cause qui fait que depuis plus de 50 ans la plupart des peuples d’Afrique francophone ne sont pas parvenus à renverser les régimes qui les oppriment.

Voilà aussi pourquoi, lorsque nous avons été amenés à contribuer aux discussions sur la façon de faire triompher la liberté politique et la souveraineté du peuple dans la gouvernance du Gabon, nous avons proposé la tenue de la Conférence nationale souveraine. Dans notre esprit, elle était un moyen pour que le peuple soit tenu acteur et non-spectateur de son propre destin. Étant au centre de l’objet du débat politique, à travers les représentants qu’il aura désignés pour la circonstance, il aurait été la source et la cause du débat. D’où par ailleurs le caractère souverain que nous invoquions pour cette Conférence nationale. Aussi, fallait-il partir de ce que les citoyens vivent au quotidien pour asseoir ce qui devait se faire et comment cela devait se faire.

Trois volets avaient donc été identifiés : le volet économique pour le développement du pays dans la quête de l’enrichissement des citoyens, le volet socioculturel pour la construction des valeurs sociales et culturelles nécessaire à l’épanouissement et à l’appartenance à la Nation et le volet politique pour la reconfiguration de l’organisation et le fonctionnement politique de l’État.

Pour embarquer l’ensemble des citoyens au débat, le volet économique et social devait surpasser le volet politique, même si par ailleurs nous savions très bien que sans le renversement du régime en place, aucun changement politique notable ne peut se faire dans le pays. De cela, justement, il fallait amener l’ensemble du peuple, embarqué dans le débat, à réaliser les causes fondamentales du blocage dans la quête de sa bonne gouvernance et par conséquent, le guider par des leaders objectifs, à en venir à obliger le changement politique souhaité.

Malheureusement, sous-estimant la volonté de privatisation de la stratégie politique par quelques-uns, certains propos conduisirent à faire croire à une lutte politique privée de l’objet de la CNS. D’où cette opposition qui fut faite sur l’idée de la CNS et pour laquelle nous fûmes contraints de nous rendre au Gabon pour faire la médiation entre les acteurs politiques gabonais de l’opposition.

Également, par rapport à cette apparence d’appropriation de l’objet de la CNS, le pouvoir établi s’est trouvé justifier de refuser sa tenue. Les discours qui ont précédé le refus du pouvoir établi, sans remettre en question une certaine façon de faire et recadrer l’objet de la CNS par rapport au premier volet, ils ont perpétué des débats et des actions qui confortent, là encore en apparence, la perception de la propriété privée de la CNS aux fins politiques de certains.

Comme nous l’avions suggéré et cela fut par ailleurs débattu entre les leaders des partis politiques de l’opposition, il y fallut tenir une tournée nationale de toute l’opposition dans l’ensemble du pays pour édifier le peuple sur les motifs de la tenue de la CNS et l’entrainer à épouser le projet et à se l’approprier. Au lieu de cela, nous avons assisté à des disputes de clocher, chaque parti ou groupe de parti politique faisant valoir son propre agenda, ses propres intérêts. Il en résulte une dissonance par laquelle les uns exclurent les autres.

En somme, pour terminer notre propos, la faiblesse de notre lutte pour les changements politiques au Gabon est due à la carence d’une direction probe et objective pour coordonner ou ordonner les luttes politiques à mener. Il en résulte une impossibilité du triomphe des idéaux dont nous sommes porteurs. Certains n’ont effectivement pas compris que tout objet qui entraîne à la lutte politique n’est pas nécessairement, aux yeux de toutes et de tous, objet de vertu politique, chacun faisant manifester sa propre ambition politique.

Pour cela, les comportements et les dires de quelques-uns au nom du peuple en excluant certains ne peuvent qu’entraîner nos critiques, surtout lorsque ces mêmes personnes font de la fierté de leur ethnie le cadre de leurs revendications politiques. Plusieurs compatriotes déplorent nos critiques disant qu’elles affaiblissent la lutte politique que nous menons. Mais en même temps, ils ne prennent aucune précaution qui favoriserait la cohérence des discours et la concorde entre les leaders de cette même lutte politique. Bien au contraire, ils font dans le clanisme politique qui instaure l’inceste politique et sème le doute sur les trépignements politiques montés ici et là. On n’est pas sorti de l’auberge. Pauvre Gabon !

JMN

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