jeudi 13 décembre 2012

Des pleurs comme des fleurs ….

Des pleurs comme des fleurs ….

Petit, j’ai bénéficié d’une tendresse infinie de la part de ma sœur, la fille aînée de ma tante. Je crois que c’est cette affection prodiguée dans mon plus jeune âge qui fit de moi cet être attentif aux autres et qui veut le bien pour tous. Ma grande sœur était une personne remplie d’empathie pour les gens de son entourage. Malgré la colère qu’elle pouvait à l’occasion entretenir contre ceux qui avaient eu le tort de l’offenser, elle était animée d’une profonde bonté et d’une profonde humanité. Par ses manières, elle a su me communiquer son humanité et l’esprit de sa bonté.

Quand je vins au monde, elle venait de perdre son premier fils. C’est tout naturellement que convié à ses bons soins, lorsque ma mère vaqua à des occupations prenantes, que j’allaitai son sein. Cette activité avait créé une certaine affiliation fusionnelle entre elle et moi. La maternité allaitante par défaut à laquelle elle se voua à quelques occasions par le hasard des occupations de ma mère aurait dû l’amener à me traiter comme son fils. Elle ne me voyait pas comme cela. Je fus un compagnon de vie, un ami intime, presque une âme sœur.

Enfant ou adolescent et même au début de ma vie adulte, je ne réalisai pas la profondeur de cette relation fusionnelle qui existait entre ma sœur et moi. Jusqu’à son dernier soupir, dont je n’ai expérimenté l’expression que par le récit des autres membres de notre famille, je n’avais jamais pris la mesure de son affection pour moi, pas plus que je n’avais été amené à mesurer celle que j’avais de façon inconsciente à son égard. Aujourd’hui, rien qu’à l’évocation de son souvenir, je souffre encore terriblement de cette absence arrivée trop tôt dans ma vie.

Lorsqu’à l’été 1989, je l’annonçai mon voyage pour poursuivre mes études en Amérique du nord, elle crut d’abord à une blague. Elle me regarda avec ce sourire et cet air interloqué qu’elle savait afficher avec élégance pour me dire ne prend pas tes rêves pour la réalité. Néanmoins, par le sérieux que je mis à mon visage, elle arrêta l’exécution des tâches qu’elle accomplissait pour examiner avec un regard inquisitoire ce papier de mon admission à l’école polytechnique. Tu es sérieux alors, m’avait-elle interrogé, avec un sourire mêlé de fierté et de confusion. Je répondis oui. Elle se retourna et me fit dos. Un long silence s’était installé entre elle et moi. On aurait cru entendre les mouches voler tellement ce silence était si profond.

Derrière son dos, d’où je me tins, je tentai de voir le profil de son visage pour déchiffrer son expression. J’étais inquiet. Je craignis qu’elle oppose un véto. Son assentiment était essentiel à la réalisation de ce projet. Puis, quelques instants après, sans doute de méditation, elle se retourna. Elle me fit face et me regarda longuement avec admiration. Les traits subitement adoucis de son visage me laissèrent croire que j’étais la personne la plus importante de sa vie, que nous étions qu’une même personne et qu’un tel départ était pour elle une souffrance. Mais comme pour faire tort au fruit de mes pensées, elle dit, j’ai toujours su que c’est toi qui nous sortiras de la misère. Elle voulait par cet aveu dissiper ses craintes de mon départ et se donner raison de ne pas interdire la poursuite de mon projet d’étude à l’étranger.

Avec ce geste d’affection qui n’existe qu’entre une mère affectueuse et son fils bien-aimé, elle s’approcha de moi, comme pour murmurer ce qu’elle ne voulait que personne d’autre n’entende. Elle me prit dans ses bras et me serrant contre elle. Elle chuchota qu’elle allait souffrir de mon absence et que je ne la retrouverais plus à mon retour de ce voyage dont elle perçut la durée une éternité. Elle était au milieu de la trentaine. Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire par je ne la retrouverais plus à mon retour. Puis, après cette confession qu’elle livra avec une voix qui étouffait un torrent de sanglots, elle se détacha de moi.

Désorienté par ses paroles, je reculai de trois pas comme pour bien la regarder. Dans mon examen, je contemplai les larmes que la fermeture et l’ouverture délicate de ses paupières laissèrent échapper délicatement. Elles étaient pleines de tendresse et de regrets. Je lis comme un adieu, le détachement difficile que l’on vit quand on sait qu’on ne retrouvera jamais plus la personne qui nous quitte. Même si à ce moment-là je pus lire la peine de la séparation qui se profila, c’est que longtemps après que je pris réellement la mesure du poids de ces larmes nobles. Car les événements qui survinrent après mon départ ont profondément détruit notre clan. Le décès prématuré de ma grande soeur en a été le fcateur de précipitation de ce qui couvait depuis plus de deux générations.

Des fleurs comme des pleurs est le récit avenir de la destruction de mon clan maternel. On y trouvera les ingrédients de ces histoires bantoues par lesquelles des familles entrent dans des tourments, se déchire par la jalousie, par les accusations de sorcelleries. On y verra à l’instar de la famille que ce sont ces mêmes déchirements alimentés par le mauvais esprit qui affectent la société gabonaise dans son ensemble.

JMN

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