mercredi 5 décembre 2012

Du désengagement de la lutte politique

La vie politique dans l’opposition au Gabon est d’un contraste saisissant. Aux spectacles des discours légitimes de dénonciations d’un pouvoir arbitraire qui entraîne des luttes tragiques et des luttes comiques, répond un labyrinthe des calculs malicieux, le cheminement discret, mais malveillant des projets muris dans le secret et les combines de chefs de clan. De même, aux déferlements rhétoriques du langage politique engageant, on y retrouve des discours tantôt enflammés tantôt insipides, toujours prolixes, mais tous rarement vrais. Tous, pourtant faits pour engager lourdement le destin collectif.

Certains comme des mystiques en religion pour susciter la foi aveugle, entraînent quelques-uns dans l’arène, avec la psychologie du gladiateur, décidés d’en découdre avec l’ennemi sans que la cause du combat ne soit clairement délimitée dans les gains de la lutte engageante. Ne faut-il pas une raison pour haïr et une finalité dans la bagarre?

Entre les pôles extrêmes, de la ligne des opposants, évoluent activistes professionnels et dilettantes, militants de partis politiques engagés et militants occasionnels, poètes de la misère et sauveurs du monde, pragmatiques de la raison politique et fanatiques de l’intolérance ethnique. Tous à leur manière, révélatrices des multiples conceptions de la cause de cette lutte, s’adonnent à cœur joie de dénoncer le mal dont la plus part ont pris malin plaisir à édifier directement ou indirectement à travers leurs lignées et ou amis et; à invoquer des vertus dont les comportements dans la lutte n’affichent en rien les percepts.

Rien d’étonnant que l’on lise dans les volontés d’actions ces disparités qui affaiblissent le mouvement collectif dans la lutte. À cause de ces contrastes, l’opposition politique gabonaise entraîne les citoyens, par désabusement, à s’inscrire dans les listes des spectateurs, diversement attentifs, pour verser dans une profonde ambivalence de sentiment à l’égard de l’objet et de la nature de la lutte. Le regard de la majorité des Gabonais à l’égard de la lutte politique au Gabon l’atteste éloquemment. Il est un langage d’indifférence dans la différence des genres qui s’emploie à parler différemment de ce qui communément ne saurait être un fait d’individualité.

Toute une tradition fait ainsi de la lutte politique au Gabon depuis trente ans non pas un combat des idées et des valeurs ou encore un combat au service de la communauté, mais un combat pour soi en soi.

Aristote avait pourtant justifié la société esclavagiste par la nécessité pour les hommes éclairés de consacrer aux deux seules tâches vraiment dignes : la philosophie et la politique, le plus claire de leur dévotion pour le bien. L’une pour dire les choses dans la mesure de la vertu et l’autre pour l’action par laquelle le pouvoir est recherchée ou conquis en vue du bien de la multitude. Aristote en est même venu à définir la politique comme l’art du gouvernement des hommes.

Certains n’ont pas compris que cette gouvernance n’est pas effective que lorsqu’on est aux commandes de l’État. Elle est aussi dans la manière de cette marche pour accéder aux commandes de l’État. Il ne faut pas croire qu’en boitant avec ce rythme qui fait que l’on met difficilement un pied devant l’autre, que l’on serait porté à croire à la victoire possible contre celui qui a la cadence du rythme naturel dans sa démarche. Par ce geste démocratique, dans la quête de la vertu, dans notre geste citoyen, le peuple serait moins porté à parier pour la victoire du boiteux si le destin collectif dépendait de sa victoire dans la course face à celui qui sait user de ses deux jambes.

À ne point douter, malgré l’immensité de leur ignorance ou de leur inattention à la portée des actes et des discours, fort explicable au demeurant de bien diverses manières, les spectateurs de la vie politique gabonaise soupçonnent confusément la distance qui sépare les ambitions réelles des acteurs (des plus mesquins aux plus respectables) et les rationalisations embellissantes qu’ils en fournissent pour faire croire à l’intérêt collectif de l’engagement politique. Ne nous trompons pas, aucun des discours fait maintenant est de nature à susciter la défection dans les listes spectateurs pour alourdir celle des acteurs engagés. Longtemps encore, la plupart des Gabonais seront spectateurs de leur propre destin. La faute est à attribuer au philosophe et au politique, cette élite limitée dans ses capacités à devenir vertueuse.

Il faut, nous semble-t-il pour revendiquer la démocratie et obtenir du peuple crédit de sa crédibilité; être d’abord un démocrate dans la totalité de ses comportements et de ses discours. De plus, ce qui est une chose plus qu’élémentaire!

Joël Mbiamany-N'tchoreret



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