mercredi 4 mai 2011

Allocution d’André Mba Obame à l'Assemblée nationale du Gabon relative à la levée de son l'immunité parlementaire


Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale, Honorables députés, Mesdames et Messieurs,


J’ai été convié à m’exprimer à cette tribune par le Bureau de l’Assemblée Nationale pour vous permettre de vous prononcer sur la demande de levée d’immunité parlementaire qui a été adressée à cette Institution.

Dès l’entame de mon propos, il me parait nécessaire d’être clair avec chacune et chacun d’entre vous. Je ne prends pas la parole ici, aujourd’hui, pour vous demander de défendre, sauver ou encore protéger André MBA OBAME. Je ne m’adresse pas à vous non plus pour présenter des excuses ou solliciter votre indulgence. De tout temps, particulièrement depuis le 08 juin 2009, je me sens responsable de tous mes faits et actes dans la vie publique et je suis disposé à en répondre devant chaque Gabonaise, devant chaque Gabonais et devant Dieu.

En tant que député, vous représentez le peuple souverain au nom duquel vous vous exprimez. C’est par respect pour le peuple Gabonais et aussi pour chacune et chacun d’entre vous, représentants de ce peuple, qu’il me parait nécessaire de livrer ici et aujourd’hui ma part de vérité sur la grave crise politique et sociétale que traverse notre pays depuis le décès du Président Omar BONGO ONDIMBA. J’insiste pour dire que si je suis venu devant vous ce jour c’est par réel respect pour l’Assemblée Nationale qui est l’émanation du peuple gabonais.

J’ai prêté serment et j’ai constitué un Gouvernement parce que je suis le Président de la République élu du Gabon. Pour moi cet acte ne peut faire l’objet d’aucun débat.
L’acte politique majeur que constitue ma prestation de serment du 25 janvier dernier attend une réponse politique. D’autant plus qu’il a servi aussi bien de révélateur que d’amplificateur à une crise politique, économique et sociale à la mesure de cette espérance que le peuple gabonais a exprimé dans les urnes le 30 août 2009 et qui lui a été volée.

Honorables députés, Mesdames et Messieurs,

Nous venons tous de quelque part. Et au moment où je vous livre ma version de la grave crise politique que traverse notre pays, je me sens le devoir de vous dire d’où je viens.

En 1971, il y a 40 ans, les joueurs et les supporters de l’équipe scolaire de l’époque, les ASS, avaient été victimes de violences inacceptables des forces de police, instrumentalisées par le Président du Club sportif dénommé à l’époque "Pigeon vert" et aujourd’hui USM. Le Président du club en question se trouvait être en même temps Commandant en chef de la Police nationale. À ce dernier titre, il avait purement et simplement donné l’ordre aux agents de police de le laver de l’affront de ces élèves qui avaient commis ce qui à ses yeux représentait un crime de lèse-majesté : battre sur le terrain son équipe le Pigeon-vert.

En réaction à ce qu’ils considéraient comme une atteinte grave à la sécurité et à la liberté de leurs élèves, les Chefs d’établissement du Lycée National Léon Mba, du Lycée Albert Bernard Bongo et du Collège Bessieux organisèrent une marche des élèves en direction de la Présidence de la République.
En organisant cette marche, les Chefs d’établissement, en charge de la formation des futurs citoyens Gabonais, inscrivaient définitivement dans la mémoire de la jeunesse qu’elle avait la responsabilité de toujours dénoncer l’arbitraire, de toujours combattre l’abus de pouvoir et de ne jamais accepter la violation des droits fondamentaux des citoyens.

En 1971, parmi les élèves ayant participé à cette marche il y avait André MBA OBAME. J’avais alors 14 ans et, à l’appel de Luc MARAT ABYLAT, Jean Pierre NZOGHE NGUEMA et le Frère OBIANG, je participais ainsi à ma première manifestation d’expression politique.
Nous venons tous de quelque part. Comme citoyen, attaché au droit de tout individu à la libre expression de ses opinions, je viens de cette année 1971.

Monsieur le proviseur, honorable Président du Groupe parlementaire PDG, ma présence à cette tribune de l’Assemblée Nationale, près de 40 ans après, confirme hélas que l’arbitraire, l’abus de pouvoir et la violation des droits fondamentaux sont à nouveau ou toujours présents.

Mesdames et Messieurs les Députés,

Pourquoi êtes-vous réunis aujourd’hui ? Pourquoi suis-je devant vous aujourd’hui ?

Je voudrais d’abord remercier l’honorable Jean Christophe MBIGUIDI NDINGA pour la synthèse qui a été faite de mon audition dans le rapport de la Commission ad hoc. J’emploie volontairement le terme synthèse parce que je me reconnais clairement sur le fond. Toutefois, je relève que certains termes employés ne font pas parti de mon vocabulaire, à l’exemple du mot "trinqué" s’agissant de la Cour Constitutionnelle. De même, je constate que l’honorable député de l’UPG a pris la liberté de porter dans le texte des jugements sur mes propos et mon attitude.

Pour moi, les expressions André Mba Obame prétend que…, affirme que…, affirme d’un ton menaçant…, etc. participent de cette observation.
Si le Président de la Commission Ad hoc, l’honorable André Dieudonné Berre, a tenu à préciser que la Commission n’était pas un tribunal, alors je suppose qu’il doit être particulièrement surpris d’en lire les conclusions. En résumé, je retiens que la Commission ad hoc propose la levée de l’immunité parlementaire pour les 5 motifs suivants :

1. André MBA OBAME déclare que la prestation de serment est un acte politique ;
2. André MBA OBAME déclare que cet acte était réfléchi ;
3. André MBA OBAME déclare que si l’action politique est bloquée, c’est la violence qui prend le chemin ;
4. André MBA OBAME fait dans la provocation ;
5. André MBA OBAME a un mépris manifeste pour les Institutions.

Est-ce effectivement pour les 5 motifs retenus par la Commission ad hoc que les députés de l’Assemblée Nationale ont été réunis aujourd’hui ? Personnellement j’en doute.
C’est le lieu de poser à l’ensemble des députés la question que j’avais déjà posée à la Commission ad hoc. Ma question est celle-ci : La demande de levée d’immunité parlementaire qui vous a été adressée porte sur quel acte d’accusation et quelle est la juridiction compétente ? Il me semble que le rapport de la Commission ad hoc n’y a pas répondu.

Honorables députés, pourquoi êtes-vous réunis aujourd’hui ?

Le 30 août 2009, les Gabonaises et les Gabonais ont clairement porté leur choix sur ma modeste personne pour succéder à feu Omar BONGO ONDIMBA. Ali BONGO ONDIMBA, instrumentalisant les forces de Défense qui étaient sous ses ordres a pris le pouvoir par la force. Les faits sont clairs et ne peuvent être démentis.

Malgré les menaces et les intimidations, j’ai continué à clamer haut et fort que j’ai été élu par le peuple gabonais le 30 août 2009 et que le pouvoir qui s’est établi au Gabon depuis le 16 octobre 2009 est une forfaiture.


Et c’est ce pouvoir dont je dénonce la forfaiture qui vous a saisi pour vous demander de lever mon immunité parlementaire afin qu’il habille des draps de la justice ma mise en détention. Voila pourquoi vous êtes réunis ici aujourd’hui.

L’histoire nous enseigne que l'immunité parlementaire est issue de la lutte entre le monarque et le Parlement. Et la protection des représentants du peuple contre le pouvoir du gouvernement reste un facteur majeur de développement des démocraties. Nous y sommes.

Lorsque qu’un pouvoir contesté se sert, pour sa propre survie, de l’autorité judiciaire pour contraindre ses adversaires, nous nous trouvons dans la situation qui a justifié l’institution de l’immunité parlementaire au 18ème siècle. Aussi, si en la circonstance, les députés que vous êtes renoncent à cette protection que leur offre la Constitution, il est à craindre que définitivement votre institution ne perde la place première et honorable qui est la sienne dans notre système institutionnel.

Après le Général NTUMPA LEBANI c’est maintenant au tour d’André MBA OBAME. Voila pourquoi vous êtes réunis ici aujourd’hui.

La prison politique ?! Si c’est le chemin pour la liberté du peuple gabonais, j’accepterai cet énième sacrifice. Vous êtes un certain nombre dans cet hémicycle à m’avoir précédé. Ainsi, Monsieur le Président NZOUBA NDAMA, je pourrais désormais comparer mon expérience à la vôtre. Cependant, je n’aurai peut-être pas comme vous le privilège d’avoir comme compagnons des personnalités aussi éminentes que Pierre-Louis AGONDJO OKAWÉ et Joseph RENDJAMBÉ, pour ne citer que ceux-là.

La majorité PDG à l’Assemblée Nationale pourrait faire valoir le fait majoritaire et voter mécaniquement selon les consignes de la Direction du Parti. Les députés de l’UPG et du RPG pourraient eux-aussi être fidèles à leur alliance effective ou future avec Ali BONGO ONDIMBA pour confirmer la position prise par leurs collègues respectifs au sein de la Commission ad hoc. Ainsi, à une écrasante majorité, l’immunité parlementaire d’André MBA OBAME sera levée et le Gabon se portera mieux que jamais.

Je soutiens malgré tout que chaque homme et chaque femme présent dans cet hémicycle a réellement conscience de sa responsabilité devant le peuple souverain dont il a sollicité les suffrages en décembre 2006 et qu’il représente. C’est cette conscience du rôle et de la fonction du député qui seule doit guider chacune et chacun de vous.

Et c’est à chacune et chacun de vous individuellement que je m’adresse. À vous mes compatriotes, qui avez l’honneur et la responsabilité de représenter le peuple Gabonais. Notre peuple.

Pourquoi suis-je devant vous aujourd’hui ?

Nous nous trouvons désormais dans la situation où le silence devient un péché lorsqu'il prend la place qui revient à la protestation. Et d'un homme, il fait alors un lâche. Ma responsabilité politique, mon Amour pour Dieu et pour tous mes concitoyens m’obligent à ne pas rester silencieux en ces temps si sombres et si difficiles que traverse notre pays.

Notre pays va mal. Il va très mal.

Depuis plus d’un an, nous assistons à une véritable opération de destruction nationale sur le plan politique, sur le plan économique et sur le plan social. Le peuple Gabonais et les amis du Gabon ne se trompent pas. Ils constatent amèrement que le pays s’enfonce un peu plus chaque jour dans les inégalités sociales, la dégradation de l’économie et la négation des libertés publiques qui sont la marque de fabrique d’une dictature.

Cette politique suicidaire ne peut continuer dans un pays libre et démocratique !

Au lendemain du coup d’État électoral, inspiré par la sagesse du jugement du Roi Salomon, j’avais décidé qu’il était de ma responsabilité de vainqueur de cette élection de privilégier l’intérêt supérieur de notre pays. C’est pourquoi, à l’époque, je n’ai pas donné le mot d’ordre que tous attendaient et que plusieurs me suggéraient fortement.

Ce qui constitue une Nation, ce n’est pas le fait de parler la même langue, ou d’appartenir à un groupe ethnique commun. Ce qui constitue une Nation, c’est d’avoir accompli ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir.

Mon engagement politique ne se résume pas à la volonté de conquérir ou conserver des privilèges personnels, il vise plutôt un objectif simple et clair : que les Gabonais de Minvoul, de Pana, de Mabanda ou de Libreville soient tous habités de la certitude d’appartenir effectivement au même pays, d’avoir le droit de choisir librement leurs gouvernants et d’être traités de la même manière par ces derniers.
Par crainte du jugement de l’histoire et par amour pour nos enfants et nos petits enfants, ressaisissons-nous. Ressaisissons-nous et cessons de continuer à faire comme si tout ce qui se passe dans notre pays depuis le 08 juin 2009 se déroule au pôle nord ou sur une autre planète.

• C’est au Gabon et non sur la lune que deux députés sont menacés, y compris dans leur chair, parce que dans leur rôle de parlementaire, ils se sont interrogés sur l’opportunité et la régularité de la dernière révision constitutionnelle.
• C’est au Gabon que le principal parti politique de l’opposition est dissout par le pouvoir auquel il s’oppose en lieu et place de la justice qui n’a jamais été saisie et ne s’est donc jamais prononcée.
• C’est au Gabon qu’une chaîne de télévision est suspendue, sans avoir été entendue, au motif qu’elle a diffusé un évènement que toutes les autres chaînes de télévision ont également diffusé.

• C’est au Gabon que des professeurs d’université et des fonctionnaires sont suspendus de fonction et de solde au motif qu’ils ont exprimé en dehors de leurs lieux de travail leurs convictions politiques.
• C’est au Gabon où à la moindre rumeur on déploie massivement les forces de 2ème et 3ème catégorie pour intimider et réprimer au besoin de paisibles citoyens.

C’est cela la réalité de notre pays aujourd’hui et nous ne pouvons l’accepter.

Malgré cette réalité qui constitue autant d’indicateurs dont la communauté internationale se sert pour inscrire les pays sur la liste des États en crise, le pouvoir établi continue de clamer de manière autiste que le Gabon se porte bien et très bien même.

Je me suis engagé en politique comme d’autres en religion. Mon ambition est très au-delà du pouvoir et de la puissance. J’aspire à un Gabon libre et vainqueur. Un Gabon dans lequel, chaque femme, chaque homme, chaque enfant, vivant libres dans son pays, aura la chance de pouvoir réussir sa vie. C’est pourquoi j’affirme que liberté et développement doivent maintenant marcher main dans la main. Ceci bien-sûr n’est possible que dans un pays où toutes les règles sont respectées par tous et surtout par ceux qui exercent le pouvoir d’État. C’est cela mon rêve pour le Gabon.

Et c’est ainsi qu’il faut considérer mes actes de ces dernières années, y compris celui qui me vaut l’honneur d’être devant vous aujourd’hui.
J’aime mon pays. Je suis attaché à chacun de mes concitoyens, où qu’il se trouve et quel qu’il soit. Et je pense que le Gabon, après cinquante ans d’indépendance mérite aujourd’hui de se donner une vraie démocratie. Une démocratie qui garantit à tous et à chacun des choses aussi simples, mais combien fondamentales que la dignité, la liberté, la justice, l’accès à l’éducation, l’accès aux soins de santé,

l’accès à un logement digne et le droit au travail. C’est le Gabon dont je rêve et que je réclame pour mes compatriotes.

L’histoire de notre pays a été façonnée par l’engagement d’hommes et de femmes à ne jamais renoncer devant l’adversité pour promouvoir les valeurs communes proclamées par nos constitutions successives. J’ai fait le choix de suivre cette voie, je vous laisse en conscience la responsabilité de choisir la vôtre.

Je vous remercie.

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