samedi 21 mai 2011

La recherche des capitaux pour investir dans nos pays : le grand défi du NEPAD selon Ernest Harsch


"Les marchés de capitaux sont essentiels" pour la croissance et la prospérité des économies africaines, affirme le Ministre des finances ghanéen, Yaw Osafo-Maafo. "La pénurie de capitaux est l'un des plus grands obstacles auxquels se heurte l'Afrique."

Cette opinion, exprimée à l'occasion d'un congrès réunissant en avril des centaines de cadres d'entreprise et de responsables de bourses africaines, est partagée par un nombre croissant de dirigeants du continent. Il y a encore quelques années, lorsque ceux-ci parlaient du financement du développement de l'Afrique, ils désignaient en général par ce terme les dépenses publiques, l'aide des donateurs, les prêts d'organismes de financement ou d'autres sources de fonds publics. Mais le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), adopté en 2001 comme cadre principal de développement du continent, privilégie la croissance des flux de capitaux privés en direction de l'Afrique en vue de remédier à la pénurie de ressources dans la région.

Certains pays africains proposent déjà des possibilités d'investissement intéressantes aux investisseurs potentiels, ce qui a entraîné une légère augmentation des apports de capitaux étrangers au cours de la dernière décennie. Mais jusqu'à maintenant, le fort taux de pauvreté, la faiblesse des infrastructures, les lourdeurs bureaucratiques, la corruption et les craintes d'instabilité politique ont effrayé les investisseurs. Le défi des gouvernements africains consiste à les attirer.

Le Président sénégalais Abdoulaye Wade, l'un des principaux artisans du NEPAD, aime à dire qu'aucun pays au monde n'a pu se développer avec la seule aide des donateurs ou des prêts étrangers. Les pays qui ont réussi ont également eu recours à des capitaux privés, d'origine nationale et étrangère. "Nous sommes convaincus, a déclaré M. Wade au cours du voyage qu'il a effectué à Tokyo à la mi-mai, que le secteur privé peut jouer le même rôle [en Afrique] qu'au Japon." Par conséquent, il est nécessaire, selon lui, "de créer les conditions permettant d'investir des capitaux privés dans les pays africains".

Toutefois, avertit M. Wade, "une croissance générée par des investissements privés ne se traduit pas automatiquement par une amélioration de la qualité de vie de la population". Pour que cela puisse se produire, les gouvernements ne peuvent pas s'en remettre uniquement au marché ; ils doivent jouer également un rôle stratégique. M. Zéphirin

Diabré, Administrateur associé du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), a déclaré à Afrique Relance que "l'Etat a un rôle capital à jouer pour veiller à la bonne répartition des richesses qui ont été créées" (voir "Zéphirin Diabré : Il est temps d'agir").

Un gouffre béant

Tout récemment encore, dans les années 80, l'ouverture d'un gouvernement africain aux investissements étrangers dépendait largement de son orientation politique ou idéologique. Mais avec la fin de la guerre froide et l'aggravation de la situation économique déjà difficile de l'Afrique, les investissements étrangers apparaissent maintenant davantage comme une nécessité pratique.

La croissance économique a atteint 3,5 % en moyenne par an en Afrique au cours des cinq dernières années, précise le Président de la Banque africaine de développement (BAD), Omar Kabbaj, soulignant que ce chiffre est nettement inférieur au taux de 6-8 % nécessaire, selon le NEPAD, pour que l'Afrique puisse atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (adoptés par les dirigeants mondiaux en 2000 afin notamment de réduire de moitié d'ici à 2015 le nombre de personnes vivant avec moins d'1 dollar par jour).

Il faudrait des investissements nettement supérieurs pour provoquer une accélération de la croissance, explique M. Kabbaj. Actuellement, ces investissements sont globalement faibles, oscillant entre 16 et 22 % du produit intérieur brut, alors qu'il faudrait atteindre 30 % pour permettre une forte croissance. Or d'importants obstacles s'opposent à une augmentation rapide des investissements intérieurs, toujours selon M. Kabbaj, "compte tenu de la pauvreté généralisée et du faible taux d'épargne" qui caractérisent de nombreux pays africains pauvres. Par conséquent, le financement extérieur est indispensable sous une forme ou sous une autre.
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"Le premier réflexe d'un investisseur étranger qui arrive dans un pays africain est de regarder comment se comporte le secteur privé local ... afin de voir quels secteurs fonctionnent et de savoir si la population locale y investit." -- Le Président nigérian, M. Obasanjo
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Selon des études de la BAD, pour atteindre les niveaux de croissance économique nécessaires à une réduction importante du taux de pauvreté, il faudrait que l'assistance aux pays africains augmente de 50 à 100 %. Cela est peu probable dans le climat actuel. Au cours des 10 dernières années, les flux d'aide publique au développement en Afrique ont connu une baisse vertigineuse, chutant d'environ 35 % de 1992 à 2001.

Même si l'on peut inverser cette tendance -- et un certain nombre de donateurs se sont d'ailleurs engagés à accroître leur aide à l'Afrique -- il est très peu probable que l'aide atteigne des niveaux suffisants pour financer entièrement les objectifs ambitieux du NEPAD. De même, les mesures d'allégement de la dette ne permettront pas, à leur niveau actuel, de générer des économies suffisantes. L'augmentation des recettes d'exportation pourrait permettre d'augmenter les ressources extérieures mais la faiblesse des cours internationaux des matières premières exportées par l'Afrique et les grandes difficultés auxquelles se heurtent les pays africains pour accéder aux marchés du Nord restreignent sérieusement les perspectives commerciales du continent.

Malgré ces difficultés évidentes, les dirigeants africains demandent à leurs partenaires extérieurs de prendre des mesures sur tous ces fronts. Parallèlement, ils demandent aux investisseurs privés d'intervenir. Des centaines de dirigeants d'entreprises ont d'ores et déjà manifesté leur intérêt au cours d'une conférence tenue à Dakar (Sénégal) en avril 2002 sur le financement du secteur privé dans le cadre du NEPAD, suivie de plusieurs autres organisées dans l'ensemble du continent.

Jusqu'à présent, le bilan est mitigé. Au début des années 90, les flux d'investissement étranger direct (IED) en Afrique n'atteignaient en moyenne que 2 à 3 milliards de dollars par an. Ce chiffre a plus que doublé dans la deuxième moitié de la décennie, pour atteindre un record de 13,8 milliards de dollars en 2001 (voir graphique). L'an dernier, toutefois, les IED nets en Afrique sont retombés, d'après les estimations, à 7 milliards de dollars, en raison du ralentissement mondial des investissements. Ils devraient probablement se maintenir à ce niveau en 2003, selon les prévisions de la Banque mondiale, même si la plupart ne bénéficieront qu'à un nombre restreint de pays d'Afrique, dans le pétrole ou les ressources minérales.

Compte tenu de la taille restreinte de la plupart des économies africaines, même ces IED modestes ont leur importance. En 2001, par exemple, les IED bruts en Afrique subsaharienne équivalaient à 8,1 % du produit intérieur brut total de la région (par rapport à 1 % seulement en 1990). Ce chiffre était plus élevé que dans toutes les autres régions en développement, dépassant notamment à la fois l'Asie orientale et le Pacifique (4,6 %) et l'Amérique latine et les Caraïbes (4,4 %).

Toutefois, par rapport au montant total des investissements étrangers, qui a spectaculairement augmenté au cours de la dernière décennie, les flux en direction de l'Afrique restent toujours faibles. En 2001, l'Afrique subsaharienne n'a attiré que 8 % des flux totaux d'IED vers le monde en développement.

"Des réformes laborieuses"

Selon M. Osafo-Maafo, Ministre des finances ghanéen, l'Afrique pourrait devenir "la prochaine destination mondiale pour l'investissement". Cet optimisme était partagé par nombre des responsables, cadres et investisseurs présents au Forum sur le développement des marchés financiers africains organisé les 14 et 15 avril derniers à New York par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la Bourse de New York et l'Association des bourses des valeurs africaines.

Comme Mme Ndi Okereke-Onyiuke, présidente de l'Association, l'a fait remarquer, l'Afrique offre des rendements parmi les plus élevés au monde. Selon des études de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), les sociétés étrangères ont obtenu une rentabilité moyenne de 29 % sur leurs investissements en Afrique au cours des années 90, soit beaucoup plus que dans la plupart des autres régions. Mais la rentabilité n'est qu'un des facteurs pris en compte par les investisseurs potentiels.

M. Osafo-Maafo fait observer que le Ghana est maintenant considéré comme une destination relativement recherchée par les investisseurs étrangers en Afrique, non seulement en raison des importants rendements qu'on peut y obtenir, mais aussi grâce aux réformes politiques, aux mesures de lutte contre la corruption et aux améliorations apportées aux conditions de fonctionnement du secteur privé. Ce résultat, dit-il, "n'est pas un miracle, mais l'aboutissement de réformes laborieuses".


Du point de vue de l'investisseur étranger, la plupart des pays africains présentent des obstacles gigantesques à l'investissement, a expliqué aux participants du Forum de New York M. Alan Patricof, Vice-Président de la société d'investissement Apax Partners, aux Etats-Unis. Parmi les nombreuses difficultés rencontrées, il souligne :
• la corruption et les lourdeurs bureaucratiques
• la faiblesse des systèmes judiciaires
• l'insuffisance des infrastructures
• la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée.

Pour réduire la corruption et la bureaucratie, M. Patricof recommande aux pays africains de mettre en place des centres "polyvalents" où les investisseurs pourraient se procurer toutes les licences et autres autorisations nécessaires, au lieu de devoir affronter une multitude de "barrières" administratives qui prennent du temps et permettent aux responsables locaux d'exiger des pots-de-vin ou autres avantages personnels.

Tous les problèmes ne sont pas seulement dus à une participation excessive des pouvoirs publics, a ajouté M. Patricof, mais également à l'absence de réglementation adaptée. Dans la majeure partie de l'Afrique, les règles de direction des entreprises "n'existent pour ainsi dire pas", dit-il. Cela permet aux sociétés nationales et étrangères de ne pas divulguer intégralement leurs états financiers, et de se soustraire ainsi à l'impôt.

Le Ministre des finances du Lesotho, Timothy Thahane, a insisté sur l'importance des réformes du secteur financier, à commencer par la mise au point de cadres réglementaires pour les banques, compagnies d'assurance et autres institutions. Des systèmes financiers plus stricts et plus diversifiés, selon lui, encourageraient aussi bien les investissements que l'épargne.
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Bourse d'Harare : la plupart des bourses africaines sont petites, mais offrent des rendements élevés.
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De nombreux participants ont fait observer que les conflits et l'instabilité politique de l'Afrique tendaient à décourager les investisseurs. Même les pays éloignés des zones de conflit actuelles pâtissent de cette image négative, les investisseurs jugeant souvent à la même aune toute une région, et même le continent dans son ensemble. Par conséquent, ont-ils noté, l'accent mis par le NEPAD sur l'établissement de la paix et de la sécurité est indispensable si l'on veut faire de l'Afrique un pôle d'investissement plus attrayant à long terme.

Le Secrétaire d'Etat adjoint des Etats-Unis pour les affaires africaines, Walter Kansteiner, a souligné qu'il existait aussi des remèdes à court terme. La société publique américaine Overseas Private Investment Corporation, par exemple, aide à financer des systèmes d'assurance contre les risques politiques en Afrique. M. Kansteiner s'est également prononcé en faveur des propositions africaines tendant à une plus grande intégration régionale entre pays voisins, afin de développer des marchés plus importants et plus attrayants.

En outre, un certain nombre d'analystes financiers ont noté qu'il est très difficile pour un pays d'attirer les investisseurs étrangers lorsque son climat économique n'est pas propice aux investissements intérieurs. A la conférence sur le financement du NEPAD, tenue à Dakar l'an dernier, le Président nigérian, Olusegun Obasanjo, a souligné que "le premier réflexe d'un investisseur étranger qui arrive dans un pays africain est de regarder comment se comporte le secteur privé local... afin de voir quels secteurs fonctionnent et de savoir si la population locale y investit".

Le type d'investissements étrangers qu'ils tentent d'attirer peut influencer le développement futur des pays africains, fait remarquer M. Kenneth Kwaku, de l'Agence multilatérale de garantie des investissements de la Banque mondiale, qui fournit une assurance-risque aux investisseurs et organismes de prêts travaillant dans les pays en développement. Beaucoup d'investissements étrangers en Afrique aujourd'hui sont liés à l'extraction de pétrole, de minéraux et d'autres ressources naturelles, le traitement de ces produits se faisant en général ailleurs. Pour attirer des investissements à valeur ajoutée stimulant le développement économique, dit-il, il faut "ne plus dépendre de nos ressources naturelles, mais des compétences et des connaissances". Pour que les entreprises deviennent plus actives dans ces domaines, dit-il, il faudra freiner la tendance des cadres et des travailleurs qualifiés africains à quitter le continent (voir "Inverser la 'fuite des cerveaux' africains").

Les bourses se préparent

Outre les investissements étrangers directs, certains flux vers l'Afrique arrivent sous la forme de placements en actions -- actions de sociétés commerciales, obligations d'Etat et instruments financiers du même ordre. En Afrique subsaharienne, ce type d'apports est passé de 2,9 milliards de dollars en 1995 à 8,9 milliards en 1999, pour tomber à 4 milliards en 2000 et s'effondrer pratiquement les deux années suivantes, en raison des graves perturbations et de la chute des cours sur les places boursières mondiales.

Pour les sociétés africaines les plus importantes, les principales bourses mondiales représentent un bon "point d'accès aux marchés de capitaux internationaux", a déclaré lors de la conférence d'avril le Vice-Président de la Bourse de New York, Bryant Seaman. Sept sociétés africaines sont même cotées dorénavant à la Bourse de New York, avec une capitalisation totale de 26 milliards de dollars. Signe d'un intérêt croissant pour l'Afrique, les transactions de leurs actions ont fait un bond de 700 % entre 1999 et les premiers mois de 2003, souligne M. Seaman.

En revanche, la plupart des bourses africaines sont de très petite taille -- ce sont des bourses "frontières" dans le jargon des investisseurs internationaux -- à l'exception de la Bourse de Johannesburg (Afrique du Sud) et de celles d'Egypte, du Maroc et de Tunisie. Leur capitalisation cumulée a atteint 245 milliards de dollars en 2002 (la part de la Bourse de Johannesburg s'élevant à 183 milliards), soit à peine un dixième de celle de toutes les bourses des "marchés émergents" et moins d'1 % du total mondial.

Le nombre de bourses des valeurs africaines s'est toutefois multiplié, passant de 10 il y a une dizaine d'années à 18 aujourd'hui. Si leur taille est réduite, dit Mme Okereke-Onyiuke, elles représentent une force "vitale" qui devrait susciter davantage d'intérêt international à l'avenir.

La bourse d'Abidjan (Côte d'Ivoire), où sont cotées des sociétés de six pays francophones d'Afrique de l'Ouest, est l'une des rares bourses régionales du monde. Il est actuellement prévu d'en ouvrir une deuxième en Afrique de l'Est.

Nombre des sociétés cotées sur ces bourses africaines -- plus de 2200 en 2002 -- offrent à leurs actionnaires d'importants retours sur investissement. En 2002, par exemple, le retour moyen sur investissement de l'indice de la Bourse de Johannesburg était de 27,9 % (calculé en dollars des Etats-Unis), ce pourcentage était de 27,4 % à la Bourse d'Abidjan, de 33,3 % au Ghana et de 41,4 % au Botswana. En comparaison, la même année, l'indice Standard and Poor's 500 des Etats-Unis enregistrait une perte de 22,4 %, tandis que l'indice combiné de tous les marchés émergents chutait de 7,5 %. L'une des raisons de la forte rentabilité de l'Afrique, fait remarquer Mme Okereke-Onyiuke, est que la plupart des sociétés africaines sont encore "en phase de croissance", c'est-à-dire qu'elles sont relativement nouvelles et ont des perspectives d'expansion très importantes.

Pourtant beaucoup d'investisseurs ne connaissent tout simplement pas l'existence de ces potentialités. La plupart des bourses africaines ne figurent pas dans les principaux indices boursiers et n'attirent par conséquent que peu de fonds de portefeuille ciblant les marchés émergents mondiaux. Pour les investisseurs potentiels bien informés, la forte rentabilité de ces sociétés africaines est tempérée par les incertitudes quant aux résultats à long terme et à la stabilité de la plupart des économies africaines.

Ce manque d'image positive est l'une des raisons pour lesquelles les bourses africaines ont cherché à former des liens plus étroits avec les bourses bien établies de New York, Londres et d'autres places financières mondiales, afin d'être plus visibles sur le plan international. "Nous avons besoin de l'appui de marchés de change plus matures", a déclaré à ses collègues de la Bourse de New York M. Osafo-Maafo, "afin de tirer des enseignements de votre propre expérience".

Parallèlement, a-t-il ajouté, les pays africains ont beaucoup à faire pour que leur économie attire durablement les investisseurs potentiels. "L'Afrique, correctement gérée, pourrait bien être l'avenir des investissements de fonds."

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