mercredi 27 juillet 2011

Autopsie de la faiblesse de l’opposition politique au Gabon.


L’organisation et le fonctionnement politique de l’État gabonais admettent l’existe de la pluralité politique. Néanmoins, le parti au pouvoir organise le fonctionnement politique du pays pour qu’aucune alternance du pouvoir ne se fasse par la voie des urnes. Le parti au pouvoir et ses alliés manoeuvrent lors des consultations électorales pour se maintenir au pouvoir. L'absence de l'alternance politique n'est pas le seul fait des actions du parti au pouvoir. Elle est également encouragée par le type d’opposition politique retrouvée au Gabon.

1. Élément de définition de la démocratie pluraliste

On entend par démocratie pluraliste le fait que plus d’un parti politique concourt à l’expression politique du pays. Elle permet au peuple souverain de se choisir librement ses gouvernants parmi diverses formations politiques opposées. Pour que ce libre choix se fasse, l’État gratifié de la primauté du droit fonctionne dans l’animation de la vie politique du pays de manière à favoriser la cohabitation harmonieuse des différents partis politiques. Selon que les lois et le cadre qui organisent la vie politique sont établis par consensus, les partis bénéficient du même accès au peuple et jouissent des mêmes prérogatives pour faire la publicité de leur programme de gouvernement. De la crédibilité, dont chacun, jouira, le peuple choisira librement, dans sa majorité, le parti qui doit conduire la destinée collective pour un certain temps. a

1.1 Le rôle de l'opposition en démocratie réelle

En démocratie, l’opposition politique au parti au pouvoir a plusieurs fonctions. Elle est un contre-pouvoir. Elle s’assure que parvenu au pouvoir, la majorité n’ait pas la tentation de mener une politique portant atteintes aux droits et libertés et qu’elle gouverne selon les principes démocratiques. Témoin des faits de la gestion du pays, elle fait rapport au peuple des faiblesses du parti au pouvoir en dénonçant ses égarements. En outre, par les critiques qu’elle fait et les propositions alternatives qu’elle met de l’avant pour montrer les manquements du gouvernement, elle donne au peuple l’occasion d’opter pour un autre choix de gouvernement. Comme on peut le voir, le rôle de l’opposition est primordial en démocratie. Pour autant, si elle n’est pas en mesure de s’organiser pour conquérir le pouvoir, elle ne remplit qu’un rôle de faire-valoir au pouvoir en place. Cela est le cas de l’opposition politique au Gabon.

1.2 Lorsque l'opposition est inefficace, la démocratie faillit

Nous soutenons que sans une réelle opposition, la démocratie ne peut s’opérer. On impute, avec raison, le non-avancement de la démocratie au Gabon au parti au pouvoir en faisant l’économie des critiques de la qualité de son opposition. Pourtant, la démocratie ne saurait exister sans une opposition politique authentique. Elle est authentique quand elle est intègre, stratège et efficace dans la recherche de l’alternance ou de la mutation politique. Par sa perspicacité, elle obligera le pouvoir à favoriser l’expression de la démocratie. Pour justifier l’incompétence de l’opposition à obliger aux réformes voulues, certains pérorent que le problème du non-avancement de la démocratie au Gabon est l’absence d’un État de droit. Faut-il rappeler que l’État de droit ne nait pas de l’absolu, qu’il est le fait des rapports de force entre les acteurs sociopolitiques. Lorsqu’elle recherche l’avancement politique du pays, l’opposition politique doit, avant de s’engager dans le concours électoral, préalablement prendre les mesures pour s’assurer que le parti au pouvoir ne confisque pas pour ses lubies les pouvoirs institutionnels. Jusqu’aujourd’hui, l’opposition politique a été incompétente à faire obstacle au parti au pouvoir dans ses manœuvres de conservation illégitime du pouvoir. Elle est inapte à établir un équilibre de forces pour contraindre l’établissement d’un État de droit au Gabon. À quoi faut-il imputer ces incompétences? Au type particulier de l’opposition politique au Gabon.

2. La nature de l’opposition politique au Gabon

L’opposition politique au Gabon est tellement diverse que l’on ne saurait dire avec exactitude ce qu’elle est exactement ou ce à quoi elle s’oppose. Pour la cerner, nous définissons ce qu’une opposition politique, puis, nous déclinons une typologie pour distinguer les différentes formes de l’opposition politique gabonaise afin de montrer ses singularités et préciser l’objet de sa fonction d’opposition. Une telle façon de faire devant faciliter l’identification des aspects de son incompétence et son fait de complicité dans le non-avancement démocratique du pays.

2.1 Les formes d’opposition politique au Gabon

Sauvy, dans la Tragédie du pouvoir (1978), désigne par opposition politique, les partis politiques n’appartenant pas à la majorité parlementaire et qui s’oppose à l’exécutif. Au Gabon, des formations politiques n’appartenant pas à la majorité parlementaire, tout en s’opposant au parti au pouvoir, soutiennent l’action du chef de l’exécutif. Il faut donc décliner la définition de Sauvy pour le cas du Gabon. Dahl (1966), dans «l’Avenir de l’opposition dans les démocraties», présente une typologie des modèles d’opposition politique. Elle exclut les oppositions qui se manifestent dans les régimes non démocratiques. Nous considérons sa typologie en y apportant des nuances pour mieux la cadrer avec le fait politique gabonais. Nous considérons donc comme opposition politique le fait pour un individu, un groupe d’individus ou des organisations politiques ou sociales de s’opposer à un régime, un parti politique ou de ne pas reconnaître un président comme légitimement élu et d’en manifester une volonté de son renversement.

2.1.1Opposition à l’État-PDG

On entend par opposition à l’État le rejet de l’existence de l’État ou de ses formes ou fonctionnement. C’est le type d’opposition retrouvée contre l’État de la Corée du Nord, de l’État iranien, de l’État birman et contre les États des pays de l’Europe de l’Est avant la chute du mur de Berlin. Au Gabon, avant l’avènement du multipartisme, c’est le type d’opposition qu’incarnait le Mouvement de Redressement national (MORENA). L’organisation politique du pays consacrée par le PDG comme le parti État ne tolérait aucune pluralité politique. L’oppression et la répression étaient omniprésentes. Le rejet du PDG était le rejet de l’État dans sa globalité. Puisqu’il s’agit d’une opposition à l’institution de l’État même, ce genre d’opposition politique s’exprimait en exil.

2.1.2 Opposition au régime politique du PDG

Un régime politique se définit tel un ordre institutionnel ou une manière de particulière de gouverner l’État. L’État au Gabon est considéré par plusieurs opposants comme caractérisé par les attributs patrimoniaux. Les personnes qui incarnent le pouvoir s’appropriant toutes les prérogatives de la puissance publique organisent le fonctionnement politique du pays comme d’une chose propre aux fins d’assouvissement des ambitions d’une famille ou d’un clan. L’opposition manifestée à l’égard de ce régime accepte la structure d’État, mais manifeste le rejet de l’ordre institutionnel politique qu’il incarne. C’est le type d’opposition qui est entre autres incarné par le mouvement Bongo Doit Partir (BDP) et une certaine opposition en exil. Ils considèrent que le pays est aux mains d’un clan. Il use du pays comme de sa propre chose. Le départ des Bongo, le concept étant élargi aux amis et partisans de cette famille et de la structure politique qui incarne leurs actions sont posées comme un préalable au développement du Gabon. Sinon, le pouvoir sera toujours organisé pour que ce clan se maintienne à la tête de l’État.

2.1.3 Opposition au gouvernement du PDG

L’opposition au gouvernement est une opposition de personnes à personne. Ceux qui s’identifient à cette opposition, tout en soutenant l’action du chef de l’État, s’opposent aux personnes nommées pour mener son action politique. Cette opposition est en fait une forme dissidence où selon les rapports de force interne entre partisans du régime, lorsqu’une personne est mise en minorité dans le parti politique ou au gouvernement et qu’elle n’est plus en mesure par ces canaux (parti e ou gouvernement) d’accéder aux ressources de l’État, elle créé une association ou un parti politique en soutien au chef de l’État en marge de la voie politique partisane officielle. Pour le chef de l’État, ce parti ou association, en principe adversaire de son propre parti, une pièce de plus pour se donner la légitimité qui la fait défaut. Lorsqu’il veut gêner l’action des partis qui s’opposent à lui réellement, il fait entrer l’enjeu son opposition fantoche pour décrédibiliser ses adversaires. De même, lorsque l’opposition véritable boycotte les élections ou que le pouvoir écarte des adversaires, l’opposition fantoche est utilisée comme faire-valoir pour montrer l’existence d’une vie politique démocratique. C’est ce qui est arrivé au Rwanda lorsqu’à la dernière élection présidentielle Paul Kagamé a usé des institutions légales de l’État pour écarter de l’élection présidentielle ceux de ses adversaires susceptibles de le battre. En lieu et place de véritables opposants, il avait fait valoir des opposants de service. Au Gabon, tous les partis politiques se réclamant de la majorité républicaine sont de cette sorte d’opposition fantoche : des instruments du pouvoir pour faire obstacle à l’existence d’une véritable opposition et pour se donner la légitimité démocratique qui fait défaut dans ses manœuvres antidémocratiques. En admettant l’existence des arrangements entre l’Union du Peuple gabonais (UPG) et le Parti démocratiquement gabonais (PDG) pour une cohabitation au sein du gouvernement, on serait porté désormais à identifier l’UPG et certains autres partis de l’Alliance pour la Construction et la Restauration (ACR) dans ce type d’opposition.

2.1.4 Opposition au système politique du PDG

On entend par système politique, le fonctionnement cohérent d’un ensemble de façon de faire donnant lieu, dans leur enchainement, à une logique de concentration des pouvoirs en vue d’une appropriation aux fins de la conservation du pouvoir de l’État. L’opposition à ce système politique devrait en principe entraîner un rejet du cadre systémique qui structure le fonctionnement de l’État. Au contraire, tout en acceptant le cadre institutionnel, ceux qui s’identifient à cette opposition, rejette les personnes qui exercent l’autorité de l’État en considérant que c’est par leurs seules actions que le jeu politique est vicié. Néanmoins, si l’on admet qu’il existe un système de parti État qui favorise la concentration des pouvoirs, sabordant l’État de droit pour inciter des pratiques antidémocratiques, il ne suffirait pas de détester les individus qui incarnent l’autorité étatique ou gouvernementale. Il conviendrait de déprécier le fonctionnement de l’État dans son ensemble. En réalité, ceux qui composent l’opposition au système politique ont géré l’État ou sont proches de ceux qui l’ont géré. Ils appartiennent pour la plus part aux réseaux maçonniques qui structurent ce même système politique. Ils ne peuvent donc combattre franchement le système dans sa globalité sans se dédire profondément, ayant été façonnés par lui. Pour cela, l’opposition manifestée contre le système politique s’apparente davantage au rejet des personnes qui incarnent le système politique qu’au système lui-même. En effet, l’opposition politique dans ce contexte est une rivalité entre individus par partis ou camps politiques interposés. Ayant personnalisée l’enjeu et l’objet du débat politique, l’opposition se caractérise chez les individus. Il s’y développe comme une haine entre les acteurs politiques de camps et de partis opposés. Chacun voulant montrer son égo et la force de sa personnalité. Dans cette logique, il importe à chacun des opposants de se distinguer non par des principes politiques, des valeurs ou des philosophies qui donnent naissance à des doctrines politiques d'envergure, mais des faits de prouesse du cul de soi. Ainsi adopte-t-on des comportements politiques du style m'as-tu-vu, j’étais là ou encore pratiquent ces stratégies politiques du genre hôte-toi de là pour que je m’y mette. C’est pourquoi, il est difficile de parvenir à une opposition politique unique : personne ne voulantpas réellement s’effacer devant l’autre.

3. Les différentes composantes de l’opposition gabonaise sont égoïstes : chacun vise ses intérêts

Comme décrite ci-haut, l’opposition politique gabonaise est diverse et éparse. Elle ne répond pas à une logique unique. Chacune de ses composantes a ses propres plans, lesquels ne visent que la satisfaction de ses propres ambitions ou de la valorisation de son égo. Voilà que lorsqu’arrive le moment de se mobiliser pour l’obliger à céder sur les principes démocratiques, certains membres de cette opposition négocient des positionnements politiques propres. Au lieu de prendre les mesures nécessaires pour la réforme de l’État et son fonctionnement politique, ces négociations conduisent à l’entrée de certains au gouvernement pour assouvir leurs intérêts non politiques. Cette inconsistance de l’opposition résulte aussi bien de l’égo des individus que des contradictions structurelles et philosophiques internent à chacun des partis de l’opposition. Dans la section qui suit, nous montrons en quoi consistent ces contractions.

3.1 Les contradictions de l’opposition gabonaise

De manière générale, lorsque nous parlons d'opposition politique au Gabon, nous ne parlons nullement de partis ou de formations qui exercent leur action en dehors des institutions, mais en leur sein. C'est-à-dire nous parlons d'une part d’une opposition qui participe aux élections et qui ne rejette pas les institutions de l'État dont elles dénoncent le fonctionnement arbitraire. C'est un point capital qui illustre son incompétence à forcer l’établissement d’un véritable État de droit et d’une démocratie réelle. Également, les partis de l’opposition ne se structurent pas sur des visées fondamentales au regard des carences qu’ils dénoncent dans le développement du Gabon. Ils prennent pour point d’ancrage la critique du gouvernement sans montrer concrètement leur capacité à mieux faire. Ainsi, les frontières entre l'opposition et majorité ne sont pas lisibles. On y voit même un amalgame. Cet amalgame est encore accentué ces jours-ci par la volonté de l’UPG à rejoindre le PDG dans une alliance pour gouverner et soutenir le projet de l’émergence.

3.2 Fait de complicité au non-avancement de la démocratie

L’opposition donne l’impression que l’organisation politique du pays est une véritable démocratie, légitimant en quelque sorte l’idée que le parti au pouvoir est maintenu par la force de ses talents grâce aux choix éclairés du peuple. En fait l’opposition politique au Gabon dans les formes que nous la connaissons aujourd’hui est un faire-valoir, non pas que ceux qui se réclament de sa composition ne veuillent parvenir au pouvoir, tout simplement parce que l’engagement politique de plusieurs de ces opposants ne porte pas une détermination réelle de dépassement de soi pour la mise en avant des intérêts du changement politique au Gabon. La plupart, agissent pour de se faire valoir personnellement en vue des positionnements tactiques. Il en résulte une absence de stratégie avérée pour renverser le parti au pouvoir. C’est cela sa principale incompétence.

3.3 L'opposition a miné sa crédibilité par son inconstance

En cela, il ne fait aucun doute que l’opposition a par sa propre faute miné sa crédibilité. Le constat est unanime, elle vit des moments sombres. Un mal profond la ronge. Jamais depuis 1990 on a tant été incrédule sur les chances de l’opposition à sortir le Gabon de son état de léthargie. Les points de vue contre un tel ou un tel autre leader de l’opposition n’ont jamais été aussi nombreux et critiques. Le désenchantement n’a jamais été aussi profond, aussi ardu. Le malaise est profond et présent, et les mots pour le dire plutôt cynique que jamais. C’est que les citoyens mécontents des stratégies douteuses au retournement de veste des uns et des autres sont, soit dans la frustration soit dans la désaffection soit dans la colère. Longtemps les yeux rivés sur une certaine espérance, plusieurs citoyens n’y croient plus tout simplement. Trop longtemps contenue en effet, leur colère n’épargne plus personne, ni les leaders, ni les représentants d’organisations partisanes de l’opposition. Ils dénoncent tout à la fois, l’irresponsabilité, l’incompétence, la duplicité, l’autoritarisme.

En conclusion

En bref, nous disons qu'il ne faut pas perdre espoir. La gêne qui prévaut est une impression de fin de période d’une certaine façon de faire la politique. Car s’il y a consensus pour dire qu’il faut passer à autre chose par rapport aux leaders politiques actuels de l’opposition, force est de reconnaître qu’un travail de renaissance est à battre. En tant qu’institution d’alternance politique, les partis politiques de l’opposition doivent s’organiser pour faire le jeu démocratique en leur sein avant d’espérer voir le peuple se mobiliser pour eux. Car c’est cet impératif de démocratie partisane qui permettra aux citoyens, enfin, de s’ingérer dans les affaires de leur parti, de dire leur mot en toutes choses et en toute liberté et de prendre les décisions en ce qui concerne leur présent et leur avenir qu’est la seule voie de mobiliser à la libération politique. La démocratie européenne d’aujourd’hui florissante est le produit d’une évolution historique endogène qui s’est d’abord enracinée dans la modernisation des partis politiques. C’est dire que le mouvement de réforme voulu dans l’État doit d’abord se faire au sein des partis politiques eux-mêmes. Le point à prendre en considération est que nous avons à faire aujourd’hui à de nouveaux citoyens avec de nouvelles préoccupations, de nouvelles manières d’être, de penser et d’agir. Ils ne se mobilisent à une cause que lorsqu’ils se sentent parties prenantes à la décision et à son exécution. La théocratie et le clanisme n’ont plus leur raison d’être dans le fonctionnement des partis politiques.

Joël Mbiamany-N’tchoreret

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