dimanche 17 juillet 2011

Les Syriens devront se débrouiller seuls

« Pourquoi intervenir en Libye, mais pas en Syrie? » La question se pose avec acuité depuis que les massacres en cours à Deraa, Homs, et ailleurs dans les villes syriennes se poursuit, avec des histoires d'horreur sans doute pires que celles qui nous provenaient de Libye, début mars, avant l'intervention occidentale : protestataires désarmés, arrosés de balles, encerclés par les chars, privés d'eau et d'électricité, femmes et enfants tués, etc.

Des histoires qui – si l'on utilise l'intervention en Libye comme base de comparaison « morale » – justifieraient que l'on accoure aujourd'hui pour aider ces populations en danger, ainsi que le stipulent les principes officiels de l'ONU sur la « responsabilité de protéger », adoptés en 2005.

Mais bien sûr, il n'y aura pas d'intervention militaire occidentale en Syrie, quelle que soit l'étendue du massacre perpétré par la dictature de Bachar el-Assad. Fin avril, le compte était d'au moins 500 morts, auxquels on peut ajouter, pour la seule journée du 29 avril, une cinquantaine de nouvelles victimes à Deraa, au sud du pays.

Des raisons de ne pas intervenir

Quelques raisons expliquent qu'on intervienne en Libye, mais pas en Syrie :

La Libye a beaucoup de pétrole, la Syrie presque pas (argument faible, mais entendu fréquemment).

La Libye n'est pas un « noeud » diplomatique comme la Syrie.

La Syrie est une véritable puissance régionale, avec une armée de 300 000 soldats.

Avec la « mission » en Libye, l'Occident a déjà donné et n'a plus de réserves pour intervenir ailleurs... même si cela paraît moralement justifié et nécessaire.

La Chine et la Russie, après s'être abstenues de mettre leur veto à l'intervention en Libye, ne s'en priveront pas pour la Syrie.

La Syrie, malgré son positionnement traditionnellement anti-occidental et anti-israélien, est un pays paradoxalement « respecté et respectable », qui a toujours été traité avec considération, y compris par Washington, Paris... sans oublier Moscou, l'éternel ami.

Pourquoi? Regardez une carte : la Syrie est située à un confluent géographique, à la lisière d'Israël, du Liban, de la Turquie et de l'Irak. Alliée de l'Iran, et intermédiaire entre ce pays et ses importants « clients » que sont le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien. Un pays-mosaïque, avec des minorités multiples, chrétienne, druze, kurde... et la minorité dominante, celle de la famille élargie de Bachar el-Assad : les Alaouites (secte dissidente du chiisme), qui avec à peine plus d'un dixième la population, a confisqué le pouvoir et le conserve depuis 40 ans.

Sans oublier la majorité sunnite, qui compose plus des deux tiers du pays, et dont le mouvement actuel – selon certaines interprétations « ethniques » de la révolte syrienne – pourrait constituer un « réveil sunnite » à tonalité religieuse.

Il existe toutefois une interprétation alternative, qui voit plutôt dans cette révolte un « réveil syrien », démocratique et citoyen – en phase avec le Printemps arabe. Un mouvement de toute la société contre la dictature, qui unifierait aujourd'hui cette mosaïque contre le régime en place.

Lu sur une affiche, durant une manifestation en banlieue de Damas, dans une image transmise par Twitter : « Vendredi saint. Une seule main, un seul peuple, un seul coeur, un seul but. » Sous-entendu : tous ensemble, chrétiens, sunnites, druzes, etc., pour la chute du régime et la démocratie.

L'insaisissable régime syrien

Quoi qu'il en soit de la nature exacte de cette révolte – dont plusieurs détails nous échappent encore, pour cause de black-out officiel – le régime de Damas a presque toujours échappé au jugement des autres États. Exception à cela : sa retraite précipitée du Liban, en 2005, après l'assassinat de Rafic Hariri, a représenté une rare défaite dans l'histoire de la diplomatie syrienne.

Malgré les horreurs et les crimes de ce régime, comme le fameux massacre de Hama, en février 1982 (20 000 morts) où l'on avait écrasé une révolte massive, inspirée à l'époque par les Frères musulmans, malgré les rapports répétés d'organisations comme Human Rights Watch et Amnistie internationale, la Syrie s'en est toujours tirée à faible coût, et a continué à être considérée comme un interlocuteur important et valable... Juste avant que n'éclate le « Printemps arabe », Washington, par exemple, était en plein processus de rapprochement avec Damas.

Pourtant, en quoi a consisté, depuis des décennies, la stratégie diplomatique fondamentale des el-Assad père et fils? Pour l'essentiel, à se tenir au milieu de la place, comme un Sphinx, à ne rien dire ou presque, à ne rien faire ou presque... et à laisser les autres attendre, espérer et faire des suppositions.

Ce faisant, la Syrie conservait un considérable pouvoir de « nuisance stratégique ». Ses dirigeants donnaient toujours à penser que la réforme s'en venait, qu'elle était imminente, que Damas allait enfin bouger, faire la paix avec Israël, se détacher peu à peu de l'Iran au profit des Occidentaux, ouvrir son système politique interne, etc.

Chaque fois, c'était un mirage... et chaque fois, on recommençait! Mais aujourd'hui, on peut penser que cette réserve de patience et de complaisance s'est épuisée. Mais sans pour autant que l'Occident, au-delà de quelques sanctions, n'intervienne directement.

Enregistré le 24 avril par la BBC, ce cri de désespoir d'un habitant de Deraa, la ville martyre où tout a commencé, et où, au moment d'écrire ces lignes, tout continue : « Laissez Obama venir et prendre la Syrie. Laissez Israël venir et prendre la Syrie. Laissez les Juifs venir. Tout cela est mieux que Bachar el-Assad! »

Il n'y a aucune chance pour qu'un tel appel soit entendu. Mais il reste possible que la dynamique interne de la dictature, aujourd'hui bien mise à nu et incontestable, ne la mène à sa perte... sans intervention extérieure.


Radio Canada

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