mardi 12 avril 2011

Les crimes contre les Gabonais dans la quête du développement du Gabon : les méfaits de la démesure du pouvoir absolu.


Dans une déclaration faite à Acra au Ghana, Barack Obama avait estimé que l’Afrique n’avait pas besoin d’hommes politiques forts mais des institutions fortes (AFP, 7 juillet 2010). Il regrettait le fait que les chefs d’État d’Afrique exercent des pouvoirs politiques absolus. Malgré cet absolutisme, le développement des pays africains tarde à prendre son envol. Dans certains cas il faut parler d’une involution. Comme les théoriciens de l’État moderne (Hobbes, Locke, Rousseau, Montesquieu) avant lui, le président américain observait que le pouvoir absolu est un phénomène qui conduit nécessairement à la ruine de l’État. Qu’est-ce qu’un pouvoir absolu ? En quoi conduit-il nécessairement à la ruine de l’État? Dans ce texte nous expliquons en quoi le pouvoir politique a toujours été exercé au Gabon de façon absolue et montrons comment cet absolutisme ruine le développement du pays.

Qu’est-ce qu’un pouvoir absolu?

Par pouvoir politique absolu, Shirer (1959) parle des pleins pouvoirs que détiendrait un individu dans le fonctionnement d’un pays. Ces pouvoirs donnent le droit légal au chef d’État de promulguer des lois sans en référer aux représentants élus du peuple. C’est ce genre de pouvoir que détenait Hitler pour gouverner l’Allemagne. Pour Bernard (2004) il s’agit un système de gouvernement où le pouvoir n'est soumis à aucun contrôle. C’est l’autoritarisme en ce sens que seule l’autorité du chef de l’État fait loi. Pour Arendt (1951) l’absolutisme politique est du totalitarisme, un type de système de régimes politique à parti unique. Il n’admet aucune opposition organisée. Il y a monopolisation du discours et les représentations politiques. Dans ses actions et visées politiques, le chef de l’État impose à tous l'adhésion à son idéologie, à ses rêves. Le fait de ne pas y adhérer expose l’adversaire politique à une pénitence: privation arbitraire des libertés citoyennes et du bénéfice des services et privilèges de l’État. Selon Mvé Bekale (2003) et Mbiamany-N’tchoreret (1997), l’État au Gabon comporte les attributs de ces trois définitions du pouvoir absolu. Les chefs de l’État gabonais sont détenteur d'une puissance politique attachée à leur personne. Ils concentrent en leurs mains tous les pouvoirs et gouvernent sans réel contrepoids à leur pouvoir.

Les pouvoirs absolus des chefs d’État gabonais

Depuis les indépendances, le Gabon a connu trois présidents, si l’on fait exception de l’intermède faite par la présidence de transition en 2009. Chacun de ces chefs d’État a fait valoir une forme d’absolutisme singulière.

Léon Mba a incarné un absolutisme de nature autoritaire. Il aurait eu tendance à abuser de son autorité, à l'exercer avec rigueur en vue d’imposer à la société et aux autres leaders politiques sa vision du développement du Gabon qu’il voulait à tout prix sous la coupole de la France. Omar Bongo a exercé un absolutisme de nature totalitaire. Il avait un mode de gouvernement de régime à parti politique unique, même sous le multipartisme (Mbiamany-N’tchoreret, 1997). Il détenait la totalité des pouvoirs. Il exigeait le rassemblement de tous les citoyens derrière lui. Ali Bongo est entre les deux formes d’absolutisme. Il agit avec autoritarisme et totalitarisme. Il contrôle l’ensemble des leviers politiques et économiques de l’État en vue d’exercer sur le peuple une forme de domination prédatrice. Quand on conteste ses idées et à ses actions politiques, on s’expose à l’arbitraire de l’étendu de son pouvoir : on perd les bénéfices et privilèges de l’État et de sa citoyenneté. C’est le cas de nombreux professeurs de l’université Omar Bongo membres du parti de l’opposition. Ces imminentes personnalités ont été mises hors de l’université du fait qu’ils s’affichent contre la politique d’émergence d’Ali Bongo. C’est aussi le cas des députés Paulette Oyane Ondo et Christophe Owono Nguéma, qui ont évoqué, lors de l’examen du projet de révision de la Constitution approuvé en janvier 2011, le retour au scrutin à deux tours, ardemment souhaitée par l’ensemble de l’opposition. Cette évocation a été pour Ali Bongo et ses partisans un acte de trahison et de sabotage de l’émergence d’Ali Bongo (Gaboneco, 12 mars 2011). Ces façons d’agir du tout m’est dû du pouvoir est un comportement que l’on retrouvait dans les monarchies qui régnaient selon des pouvoirs absolus.

En quoi ces pouvoirs absolus ruinent l’État gabonais et plongent le pays dans la misère?

Rappelons que l’absolutisme conduit à une forme de gouvernement autoritaire, totalitaire ou les deux à la fois. Ce type de gouvernement exclut le contrôle du peuple sur l’action que mène le gouvernement. Le gouvernant agit à sa guise sans avoir à rendre des comptes. Cette situation est favorisée au Gabon par l’absence effective de la séparation des pouvoirs entre les différentes instances et ou institutions de l’État (Auracher, 2001). Il y a certes un parlement, il est constitué à la suite d’élections frauduleuses validées par un système de justice soumis aux ordres du potentat. Les deux chambres du parlement sont des faire-valoir du pouvoir absolu du chef de l’exécutif.

Dans les faits, s’il n’avait à obtenir le soutien de la France, le chef de l’État gabonais ne rendrait compte à personne (Messi Me Nang et Moundziégou Moussavou 2005). Il est son propre maître. Dans une telle situation politique, les rêves qu’il caresse, même fondés sur des ambitions nobles, n’étant pas assujettis à la règle du droit et de la moralité, s’articulent dans la quête de la propre magnificence. L’illumination qui l’amène à gérer le pays pervertit sa raison en une passion qui le conduit à agir avec excès en propriétaire de tout droit sur le pays. Il en vient à exerce sur le peuple une domination matérielle, physique et psychologique pour le dicter sa conduite politique. La forfaiture qui en résulte entraine le chef de l’état à se donner à la démesure, sinon à l’exercice d’un pouvoir politique qui transforme ses actions en une grandiloquence. L’État ne reposant pas sur la primauté du droit et de la gestion du pays selon les principes du management public et de la démocratie pluraliste, d’après Feumetio (2005), cette forfaiture patronne un grotesque autocratique fonctionnement de l’État qui met en déliquescence le pays et plonge les populations dans la misère économique et sociale.

En effet, depuis 1960, date de l’indépendance du Gabon, toujours selon Feumetio (2005), de nombreux projets de société ont effectivement été présentés aux Gabonais. Les uns aussi ambitieux que les autres. Pourtant, on ne peut que déplorer, le fiasco de ces fameuses ambitions du développement du Gabon.

Les méfaits de la démesure du pouvoir autoritaire de Léon Mba

Pour Léon Mba, c’était Gabon d’abord (Aveno, 2008). Les ressources du Gabon étant employées dans le développement du Congo Brazzaville qui, durant les deux dernières décennies de la colonisation de l’Afrique Équatoriale Français (AEF), avait bénéficié au détriment du Gabon d’investissements structurels importants, devaient être rapatriées pour le développement du Gabon. L’ambition de Léon Mba était la construction des routes et du chemin de fer. Durant la colonisation, les territoires habités étant enclavés, il convenait d’instituer à la place des pistes qui existaient pour le déplacement des colons, des voix de communication modernes. C’est ainsi que le projet de la construction du chemin de fer et celui de la construction des routes du Gabon furent proposés. Malgré les ambitions de Léon Mba, le développement du Gabon sous sa gouverne sera freiné. Les débats sur la gouvernance des matières premières du Gabon provoquent des débats houleux à l’Assemblée législative (Rawiri, 1969). Léon Mba veut imposer ses vues sur le développement du Gabon. Il adopte des postures d’intransigeance dans les débats sur les accords de coopération avec la France débutés en 1958. Le refus de compromis entraîne une forme d’impasse politique qui favorise quelque six ans plus tard le coup d’État de février 1964 (N’Solé Biteghe, 1990). Léon Mba sera remis au pouvoir grâce à l’intervention de l’armée française pour favoriser la mainmise de la France sur les ressources économique du pays. Cette mainmise est un crime contre le Gabon et l’un des facteurs explicatifs du non développement du Gabon (Aveno, 2008) et de l’assassinat de Jean Hilaire Obame qui suivra.

Les méfaits de la démesure du pouvoir totalitaire d'Omar Bongo

En 1967 lorsqu’Omar Bongo Ondimba accède à la magistrature suprême, il abolit le multipartisme et instaure le monopartisme pour taire les rivalités politiques sur la gestion du pays et pour y exercer un contrôle politique (Auracher, 2001). Pour entraîner l’adhésion de tous à ses ambitions, il met en place un projet politique de la «Rénovation du Gabon». Il déclinait une ambition de la construction nationale à la fois comme celle de l’unité nationale du pays et celle du modernisme du Gabon: construction des infrastructures de communication, de transport, de développement de structures socio-économiques, culturelles et sportives, etc.

Pour l’unité nationale, la Rénovation du Gabon s’incarne dans une gouvernance d’équilibrisme géopolitique (Auracher, 2001). Toutes les filles et les fils du pays qui comptent, de toutes les ethnies, sont conviés à la «gérance du pays», d’où l’expression : le pays est géré. En fondant le projet de Rénovation du Gabon sur la seule légitimation de son pouvoir par un consensus de tous à sa personne et à son autorité, Omar Bongo Ondimba institue la gérance du pays dans des formes de gouvernance patrimoniale: le bien public et le bien privé sont confondus aussi bien par le chef de l’État lui-même que par l’ensemble des Gabonais qui possèdent une parcelle d’autorité dans cette gouvernance, infime soit-elle. Cette gouvernance s’articule par l’absence des mesures légales et morales du fonctionnement de l’État. Elle amène les dignitaires de l’État à d’abord se préoccuper de leur enrichissement personnel avant celui du développement du pays. Il en a résulté une gestion calamiteuse dans l’ensemble des projets de la Rénovation mis de l’avant pour développer le Gabon. On note l’absence d’un réseau routier de qualité, des infrastructures de santé appropriées, d’un système éducatif adéquat, des structures qui favorisent le développement autonome des Gabonais.

Il est vrai que le projet de Rénovation a permis au pays de vivre une relative paix sociopolitique. Mais cette paix n’est que l’unité construite autour d’Omar Bongo. Elle est le résultat du caractère pyramidal du pouvoir où la pérennité de la fonction présidentielle fut identifiée et sacralisée en sa seule personne. Pour accéder aux services et bénéfices de l’État, à la manière qu’un fleuve et ses affluents convergent irrésistiblement vers la mer, les Gabonais sont naturellement allés vers Omar Bongo. À cet égard, la gouvernance du Gabon n’a été que la gérance des familles, des clans, des ethnies, des régions et des réseaux affairistes à l’intérieur et à l’extérieur du pays par des faveurs financières pour éviter la contestation politique d’un pouvoir arbitraire. Le besoin de perdurer aux commandes de l’État Ont conduit Omar Bongo à agir non pas pour les nécessités du développement mais pour la maîtrise du pays à ses seules fins. Des ressources financières énormes ont été investies dans le prestige de sa grandeur politique afin de le rendre incontournable aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Cet emploi improductif des ressources financières de l’État ont privé le pays des moyens de développement et ce malgré les grands discours sur le développement du Gabon (Feumetio, 2005). Cela est un crime contre le Gabon, contre les Gabonais.

Les méfaits de la démesure du pouvoir autoritaire et totalitaire d'Ali Bongo

En prenant à la suite son père les commandes de l’État, Ali Bongo veut aller à contre sens de ce qu’a fait son père. Son projet du Gabon émergent se veut le déclanchement d’un processus d’investissement qui reprendrait à zéro le développement économique du pays mis en rade par la politique de l’unité nationale. Il s’oppose à la dispersion des ressources financière du pays pour entretenir des roitelets. Il croit qu’en ayant sous son contrôle l’ensemble des outils économiques du pays, il est en mesure de concrétiser tel un monarque des réalisations qui conduiront la postérité à inscrire son nom comme un homme qui a accompli des grandes réalisations pour le Gabon.

En effet, contrairement à son père, qui pour dominer, a usé du charme, de la séduction et de la corruption des esprits réduisant les plus instruits des Gabonais à des moins que rien, Ali Bongo veut donc s’imposer aux Gabonais par la propension de ses accomplissements et de ses richesses. Ce qui tend à démontrer qu’il est conscient de la puissance symbolique. A l’image de Louis XIV, adepte de la politique de grandeur, qui transpirait dans son style de gestion politique, il veut surprendre les incrédules. Il ne lésinera pas sur l’organisation des manifestations grandioses et coûteuses, la dispensation de dons présidentiels en nature et en argent, la collection des biens mobiliers et immobiliers comme l’achat de cet hôtel particulier en France. Pour étendre son pouvoir dans l’ensemble des sphère de la vie des Gabonais, dans les relations et dans les réseaux qu’il entretient à l’intérieur et à l’extérieur du pays, Ali Bongo de façon très constante, s’emploie à créer une puissance économique qui sera à ses ordres. Des mesures apparemment nationalistes, telles que la création de sociétés nationales participent de la création d’un pouvoir financier au profit de sa magnificence.

Aussi, Ali Bongo a révisé la Constitution dans le sens de s’arroger les pleins pouvoirs pour réaliser les visées de sa grandeurs. Cette appropriation du pouvoir intégral couplée à une pratique politique se reposant sur l’esprit du clan n’est, évidemment, pas synonyme d’épanouissement démocratique. En concentrant tous les leviers des sphères économiques à la présidence de la République, Ali Bongo a réduit le gouvernement au rôle d’intendance. Et cette concentration des pouvoir de l’exécutif va générer une plus grande opacité de la gestion du pays. Les risques de dérapage sont grands. Nous apprenons par exemple que très prochainement une centrale nucléaire sera installée au Gabon. Aucun débat n’a été fait sur ce choix. De fait aucune mesure de protection civile des populations ne sera prise. En vue de son prestige, Ali Bongo vient de dépenser cents millions d’euros pour s’acheter un hôtelier particulier en France aux frais de l’État Gabonais. Quand on sait que les populations croupissent dans la misère et que les universités et grandes écoles du Gabon n’ont pas de bibliothèque on ne peut que s’interroger sur la pertinence de cet achat par rapport aux priorités du développement du Gabon. Il y a comme cela plusieurs autres exemples de gaspillage des ressources financières de l’État. Outre ces gaspillages, il y a la question du mérite de ces projets pour le Gabon qui sont de l’ordre de l’utopie que d’un projet fondé sur le vécu réel des Gabonais. Ayant concentré tous les pouvoirs entre ses mains, personne ne lui posera des questions ou ne remettra en cause ses folies de grandeurs insensés.

La quête du pouvoir absolu d’Ali Bongo n’est pas une fleur du bien pour le développement du Gabon. C’est l’émergence des fleurs du mal. Il s’agit d’une recherche de domination prédatrice. L’ombre de la violence ou de la force brutale est présente à l’arrière-plan de tous ses actes. Il a compris que la principale faiblesse de la force brute est son absolu manque de souplesse: elle ne peut servir qu’à punir, d’où un pouvoir de basse qualité. Par contre, la richesse est un bien meilleur instrument, c’est-à-dire, un pouvoir de qualité supérieur, car elle permet à la fois de récompenser quelqu’un ou de le punir en lui coupant tous les vivres. La possession et la gestion de toutes les richesses du pays vise à se doter d’instrument pour d’édicter à chacun et à tous la conduite à tenir par rapport à la quête de sa propre magnificence : l’émergence de sa personne. Cela est un crime contre le Gabon.

Conclusion

Rappelons que nous cherchions à savoir ce qu’est un pouvoir absolu et voir en quoi il conduit dans le cas du Gabon à la nécessairement ruine de l’État. Nous savons que le pouvoir absolu s’exerce à partir de la concentration directe ou indirecte des pouvoirs de l’État. Son exercice se fait par autoritarisme ou totalitarisme. Il entraîne une forme d’absolutisme politique qui exclut tout contrôle du gouvernant dans la gestion du pays. Cette absence de contrôle entraîne des excès. Léon Mba a assujetti le pays aux intérêts de la France. Nous en payons un lourd tribut. Omar Bongo a instauré un système politique qui a asservi le pays pour son seul prestige. Ali Bongo dans sa République de l’utopie nous amène vers une Rénovation bis sous le nom d’émergence. Il engage des projets et des dépenses qui ne reposent pas sur les besoins essentiels des Gabonais. Sa volonté du pouvoir absolu place le pays dans une situation de crise politique qui fait craindre le pire et retarde le développement de la Nation. Le pouvoir absolu, sous le couvert de développer le Gabon entraine des choix économiques et politiques qui sont contre productifs pour le Gabon. En cela, compte tenu du mal causé par ces choix, le développement par la forfaiture politique est un crime contre le Gabon.

Joel Mbiamany-N'tchoreret
http://joelmbiamany-ntchoreret.blogspot.com/

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