jeudi 23 juin 2011

Le système éducatif gabonais n’est pas bâti pour la réussite scolaire de tous les élèves

Le mois de juin est la période de l’évaluation scolaire dans la plupart des pays du monde : évaluation des apprentissages mais également évaluation des enseignements. En un mot évaluation du système éducatif dans son ensemble. Malheureusement dans notre pays quand le rendement scolaire des élèves est déficient ou qu'il y a des fraudes aux examens nationaux, on accuse les élèves de manquer d’intelligence ou d'être malhonnête au lieu d’accuser la défaillance du système scolaire.

Pourtant, depuis la deuxième moitié du 20e siècle, l’école, un peu partout en Occident, fait l’objet de nombreuses critiques (Gauthier et Mellouki, 2006; Frigaard, 2008). La formation reçue par les élèves est jugée inadéquate (Duke et Hochbein, 2008). La programmation scolaire ou la qualité de l’enseignement en seraient responsables (Airini, McNaughton, Langley et Sauni, 2007). Les programmes scolaires semblent inadaptés (Schweitzer, 2008) et l’on reproche aux enseignants de manquer d’efficacité dans leurs interventions pédagogiques (Morgan et Bourke, 2008; Hamano, 2008). Pour remédier à la situation, des réformes de l’éducation ont été entreprises dans la plupart des pays industrialisés entraînant des redéfinitions de la mission éducative de l’école (Hanson et Hall, 2005; Irons et Harris, 2006; Salinas, 2008 et Allen Hurt, 2008). Les finalités de l’éducation qui en ont résulté ont provoqué une révision des curriculas et une mutation de l’activité de l’enseignement. On a décidé de faire de l’enseignement une profession au lieu d’un métier (Day, 1999 et Robards, 2008) pour la rendre plus efficace.

Au Gabon, rien de tel n’a été fait. On enseigne au Gabon en 2011 comme l’on enseignait à l’époque des missionnaires jésuites. Dans ce texte, nous faisons état des causes de la mutation de l’activité de l’enseignement de métier à profession pour montrer l’archaïsme dans lequel est plongé le système éducatif du pays et la principale cause de son échec à faire connaitre des rendements scolaires satisfaisants à nos enfants.

Contrairement à bien des pays où l’éducation a connu des réformes conduisant à changer aussi bien la mission éducative de l’école, les programmes scolaires, les méthodes d’enseignement et d’apprentissage, au Gabon l’enseignement est resté une activité artisanale, dépourvue d’un savoir-faire pour affronter les défis de l’heure de l’éducation en vue de l’amélioration l’apprentissage des élèves.

Un système éducatif héritier des traditions du 18e siècle

Notre système éducatif est en effet héritier de la finalité de l’éducation telle que formulée par le projet de la modernité au 18e siècle : éduquer le citoyen aux maximes de la raison en lui instruisant les connaissances sur les phénomènes de la réalité (Condette, 2007). Pour cela, la formation à l’enseignement a été une démarche d’acquisition du raisonnement pédagogique. Elle repose sur trois aspects: les connaissances savantes, les connaissances pédagogiques de la matière et les connaissances psychologiques de l’assimilation des connaissances (Mialaret, 1977). La formation aux connaissances savantes vise les études des grands auteurs et un apprentissage des matières allant de la grammaire à la rhétorique, le tout, complété par la philosophie et les sciences (Galarneau, 1978). Mialaret (1977) note une volonté de doter l’enseignant d’une culture générale. Sans être spécialiste, l’enseignant fait preuve de connaissance générale dans les divers aspects de la connaissance. De plus, la formation à l’enseignement informe comment sélectionner les composantes de la matière transmissible et le mode d’organisation des hiérarchies des connaissances; les séquences de présentation des éléments de la connaissance; les formes et les figurations qu’elles doivent prendre; les procédés ou illustrations (images, métaphores, analogies, exemples, etc.) qui sont de nature à favoriser l’assimilation des connaissances. Outre la connaissance de la matière et sa pédagogie, la formation des enseignants s’appuie sur les connaissances psychologiques de l’assimilation des connaissances (Dubé, 1996). Soutenue par les travaux sur l’apprentissage élaborés par les béhavioristes, elle valorise l’acquisition des connaissances portant sur le contrôle de l’élève et la modification de son comportement. Elle institue l’enseignement comme axée sur la transmission des connaissances par des renforcements.

L’enseignement axé sur la transmission des savoirs et de la culture générale

De ce fait, l’enseignement de la matière emprunte un cadre de présentation magistral à partir duquel la matière est présentée aux élèves (Condette, 2007). À la suite de cette présentation et du modelage pour expliciter les notions présentées, les élèves sont invités à faire des exercices d’application, une forme de pratique autonome pour montrer leur saisie des connaissances (Boyer, 1989). Les conceptions de l’enseignement des connaissances de la matière entraînent les interventions pédagogiques qui placent l’élève en situation de réceptivité passive (Mauline, 2003 et Jeffrey 2003). L’enseignant donne à l’élève les connaissances qui doivent guider sa conduite (Médici, 1969). Bien qu’elle engendre des avantages, la pédagogie de la matière de l’enseignement magistral comporte des désavantages sur le plan de la prise en charge par l’élève de son processus d’apprentissage (Vinatier et Altet, 2008). L’élève est en situation constante de réception avec une interaction minimaliste avec l’enseignant. Il est présumé, en effet, que pour apprendre, l’élève écoute simplement les explications de l’enseignant puis reproduit ce qu’il a retenu des exercices d’application précédents (Avanzini, 1996). Sans nécessairement exclure ce type de pédagogie, de nombreuses études montrent ses insuffisances. Par exemple Avanzini (1996) Vinatier et Altet (2008) montrent que de longs et constants exposés sur la matière, plongent l’élève dans une forme de somnambulisme qui se traduit par la démotivation et le désintéressement face à ses apprentissages. Ces facteurs expliquent les causes de faible rendement de plusieurs élèves et l’échec du système scolaire. Parce que les élèves qui ne sont pas propices à ce genre d’apprentissage sont appelés à échouer.

La démocratisation de l’éducation libératrice du dogme du siècle des lumières

Le mouvement de démocratisation des esprits qui émerge à la fin des années quarante est libérateur des idées et des principes du siècle des Lumières (Léger, 1991). Les goûts et les couleurs, ça ne se discute plus. Il n’y a plus une seule culture, une seule raison et encore moins une seule connaissance (Gagné, 1999). Chacun est maître de ses propres goûts, de sa propre culture et de sa propre connaissance. Les répercussions de cette démocratisation des esprits imposent la nécessité de reformuler la finalité de l’école (Gauthier et Mellouki, 2006). Chacun se réclamant de sa propre raison et de sa propre culture, l’enseignant ne doit plus donner la connaissance, mais amener chaque individu à utiliser ses connaissances pour développer sa propre raison. Cette nouvelle finalité de l’éducation impose la réévaluation des connaissances à transmettre (Tardif et al. 1998).

Également, la libéralisation des esprits, consécutive à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et de la fin de la colonisation, voient l’apparition de représentations nouvelles de la liberté et de la culture (ibid.). L’ensemble de ces changements introduit d’autres façons d’éduquer (ibid.). En plus, le souci d’adapter l’école aux besoins nouveaux de l’éducation de l’enfant et de la société provoque l’émergence de nombreux essais de pédagogie. Selon Prolot, (1999), dans la plupart des études, on note l’éclosion d’une vision nouvelle de l’école. Elle cherche à faire barrage aux pratiques éducatives antérieures. « L’éducation nouvelle est une profonde réforme qui s’attaque au traditionalisme de la pédagogie au point qu’elle s’oppose tout simplement à l’école traditionnelle » (Prolot, 1999 p.378). Dewey, Ferrière, Montessori, Freinet, les porte-étendards et pionniers de l'éducation nouvelle considèrent l’enseignement traditionnel contraire au développement de l’esprit de l’individu. Comme alternative, ils proposent des méthodes d’enseignement qui rendent l’élève actif dans le processus d’acquisition des connaissances (Prolot, 1999). Elles favorisent l'apprentissage de la liberté. À partir du courant psychosociologique influencé par la pensée de Rogers on priorise, en effet, la liberté d’être pour valoriser sa propre culture, ses propres goûts et sa propre raison. Ainsi, l’éducation met-elle l’accent non plus sur l’enseignement mais sur l’apprentissage (Avanzini, 1996). Il s’agit d’amener l’élève à être. Pour ce faire, il est placé au centre de son propre développement. L’enseignement doit accompagner l’élève dans ce développement. Ce qui implique d’instituer une approche pédagogique davantage axée sur le développement de l’élève.

L’élève placé au centre du processus d’apprentissage

Poussées par les besoins de l’enfant et encouragées par les possibilités d’éducation révélées par les études sur le développement de l’enfant, les philosophies naissantes de l’éducation nouvelle font de l’enseignement un acte de développement intégral de l’enfant (Prolot, 1999). Il doit apprendre à devenir citoyen du monde exerçant sa liberté au service de la communauté. Il convient par conséquent de le guider. Puisqu’il s’agit de l’amener à développer sa propre culture et sa propre connaissance; compte tenu également de la diversité de la clientèle scolaire, l’école nouvelle favorise la différenciation dans l’acte pédagogique de l’enseignant. La différenciation pédagogique « réfère au métier de l’enseignant dont le principal mandat est d’accompagner les élèves dans la construction de leurs savoirs en les plaçant dans les meilleures conditions possibles» (Caron, 2008, p.3). L’élève existe avec ses désirs, ses soucis, ses richesses. Une pédagogie différenciée est un centrage sur l’apprenant et ses intérêts véritables (ibid.). Autrement exprimé, la pédagogie différenciée est une pédagogie des processus d’apprentissage : mettant en œuvre un cadre souple où les apprentissages sont suffisamment explicités et diversifiés pour que chaque élève puisse travailler selon ses propres itinéraires d’appropriation, tout en demeurant dans une démarche collective d’apprentissage. En plus, elle s’organise à partir d’un ou de plusieurs éléments caractéristiques de l’hétérogénéité des élèves : les différences cognitives, les différences socioculturelles et les différences psychologiques. Ces changements sont révolutionnaires pour les pratiques d’enseignement.

Les processus d’enseignement qui se sont focalisés sur l’apprentissage (acquisition des connaissances) plutôt que sur la transmission des connaissances sont fortement critiqués. Aux États-Unis d’Amérique, dès la fin des années quarante, des enquêtes sont menées pour expliciter la situation. Les conclusions sont sans appel. Les résultats scolaires des élèves sont médiocres (Holmes Group, 1986). Les critiques qui en résultent comparent l’enseignement des années quarante et l’enseignement avant cette période. Par rapport à l’époque antérieure, l’enseignement après les années quarante est moins rigoureux (Ibid.). Il offre aux élèves des connaissances dérisoires en lecture et en calcul. Les élèves ne savent ni lire ni écrire ni réfléchir aussi efficacement que leurs grands parents. Les insuffisances constatées dans la qualité de la formation des élèves sont attribuées aux faibles connaissances des enseignants (Ibid.). Leur formation est considérée inadéquate au regard des changements entamés dans le système scolaire (Ibid.). De nombreux rapports sont publiés pour énoncer les lacunes qui occasionnent le faible rendement des élèves (Gauthier, et. al. 1997). Les solutions qui sont mises de l’avant remettent en question les méthodes d’enseignement traditionnel.

Remise en cause de l’enseignement traditionnel

L’enseignement traditionnel vise la transmission des connaissances par un enseignement magistral (Gauthier, 1997; Gauthier et Mellouki, 2006). Il s’agit d’une communication adressée à plusieurs élèves à la fois et conduisant à un enseignement collectif. Pour apprendre, l'élève écoute les explications de l'enseignant et reproduit ce qu'il retient (Tardif, 1997). Cette pratique était aidée par le cadre de discipline auquel était soumis l’élève. Avant le mouvement de démocratisation de l’école, l'enseignement est synonyme d'autorité (Archambault et Chouinard, 2005). Le contexte social influencé par le clergé donnait lieu à une discipline personnelle et collective qui entrainait à une stricte obéissance à l’autorité. Le corps professoral, « très largement dominé, à tous les niveaux par l’Église, et la très grande majorité des enseignants appartiennent au clergé ou sont sous son contrôle. Dans les petites écoles de village, le maître, s’il n’est pas clerc, est fortement sous la dépendance du prêtre » (Condette, 2007, p.18). En fait, les valeurs de l’école et la perception de l’enseignant incarnent une autorité inspirée de celle vouée à l’Église. Archambault et Chouinard (2005) soutiennent que le vouvoiement, les coups de règle, le port de l'uniforme font partie de la vie étudiante quotidienne. Également, l’éducation reçue à la maison et les règles de fonctionnement de l’école imposent une tenue à l’élève et le disposent à l’écoute (Ibid.). La venue d’élèves de différentes couches sociales crée dans les salles de classe des dynamiques nouvelles. Elles défavorisent le maintien des règles sur lesquelles les salles fonctionnaient antérieurement. Selon Rogers (1972), si autrefois l’individu obéissait à des règles établies par la tradition et qui leur étaient extérieures, l’individu postmoderne porte en lui-même les règles auxquelles il doit obéir. L’enseignant ne peut plus imposer, mais amener l’élève à adhérer à un certain ordre.

De fait, le devoir d’obéissance qu’incarne l’enseignant et duquel il était amené à transmettre l’élève les connaissances n’est plus (Archambault et Chouinard, 2005). Le mouvement de démocratisation des esprits qui conduit à reconsidérer l’autorité de l’enseignant favorise également une remise en cause de la connaissance à transmettre (Gauthier et Mellouki, 2006). Les progrès accomplis par les sciences de l’éducation, qui valorisent le développement d’une pédagogie centrée sur l’activité de l’élève, exigent de l’enseignant de concevoir des tâches adaptées à chaque élève et le permettre de travailler à son rythme (Perrenoud, 1996). Répondre à cette obligation implique pour l’enseignant des connaissances nouvelles pour savoir organiser le fonctionnement de la classe en alliant à la fois enseignement collectif et enseignement individualisé; l’organisation des contenus en fonction des tâches d’apprentissage particulières, des besoins de chaque élèves et de ses styles d’apprentissage, et une planification de l’enseignement créant un climat prédisposant à l’apprentissage. Il convient de fait que l’enseignant de possède les connaissances pédagogiques de la présentation et de la gestion de la matière de manière motivent et intéressent les élèves. Les manquements des enseignants à ces obligations entraînent un désengagement des élèves et des rendements scolaires faibles (Viau, 1994).

La formation à la pédagogie de l’apprentissage

Les changements socioculturels qui se répercutent sur l’école à la fin des années quarante provoquent la redéfinition de l’éducation à partir des besoins du développement de l’élève (Léger, 1991). En vue de cette adaptation, les recherches sur le développement psychologique de l’enfant entraînent l’identification des connaissances susceptibles d’insuffler ce développement (Stone, 1995; McClella, 1991). Les travaux réalisés en psychologie cognitive par Piaget (1967) de même que les travaux de Vygotsky (1993) et Bruner (1967), fondent de nouveaux procédés pédagogiques. L’accent est mis sur l’apprentissage de l’élève dans une sorte de triangle reliant à la fois les connaissances de l’action de l’enseignant, les besoins d’apprentissage et les particularités, de même que les processus d’apprentissage de l’élève et les savoirs que les élèves doivent développer. Ces procédés pédagogiques exigent la détention des savoirs pédagogiques nouveaux pour utiliser ces connaissances de manière à entraîner l’apprentissage des élèves.

Également, par rapport aux responsabilités nouvelles devant structurer les finalités de la mission éducative de l’école, les politiques scolaires, le fonctionnement de l’école et l’enseignement, il est apparu essentiel de modifier l’activité de l’enseignement. Précédemment métier, il convenait qu’elle devienne une profession car elle faisait intervenir un savoir faire spécifique. Selon Freedman (1984, 1990), Clamp (1990) et Martineau (1997), la conversion de l’enseignement de métier à profession a eu pour fin le changement des méthodes d’enseignement. Elle a favorisé la mise en place des principes, des connaissances et des savoirs que doivent valoriser les enseignants dans leurs interventions pédagogiques pour améliorer l’apprentissage des élèves (Hull et Saxon 2009). En vue de la dotation de ces connaissances et de ces savoirs, la professionnalisation de l’enseignement a entrainé des réformes de la formation à l’enseignement pour conduire les enseignants à la détention des compétences professionnelles pour qu’ils agissent avec efficacité auprès de leurs élèves.

Le système éducatif gabonais est resté ancré dans la philosophie des lumières

Au Gabon, le système éducatif est resté ancré dans la philosophie de la transmission de la connaissance et du développement de la culture générale. Elle pose l’acte d’enseignement comme visant à transmettre à l’élève les connaissance alors qu’ailleurs, en Amérique du nord, par exemple, l’enseignement et l’apprentissage vise le développement des compétences par la construction des savoir-faire touchant au vécu de l’élève et à sa capacité à s’adapter à son environnement.

L’absence de réforme du système éducatif gabonais n’est pas fautive d’un manque d’ambition de changement. Les différents états généraux sur l’éducation depuis une vingtaine d’année recherchent l’arrimage de notre système éducatif aux valeurs et principes pédagogiques nouveaux. Néanmoins, cette volonté de changement ne s’incruste pas dans la culture et les mœurs des façons d’éduquer. Également, aucune politique dressant la finalité de la mission éducative de l’école n’a jamais été mise en œuvre et encore moins pensée, pour que cette quête de changement s’enracine. Les différentes tentatives de changement ont ainsi conduit à juxtaposer des philosophies d’éducation différentes : on veut développer les compétences mais on enseigne la transmission des connaissances et la dotation de la culture générale.

En définitif, de la même façon qu’il faut une révolution politique au Gabon pour tout faire repartir à zéro, il faut une rupture pour qu’une mutation de la philosophie s’opère et entraîne dans notre pays une approche nouvelle et postmoderne de l’éducation. De cela, nous verrons notre système éducatif se doter des façons de faire qui permettront de former une génération des Gabonais compétents à relever les défis du développement du pays.

Joël Mbiamany-N’tchoreret
Diplômé des sciences politiques
Enseignant et chercheur en psychopédagogie

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